ART | CRITIQUE

Gitane à la guitare

PFrançois Salmeron
@25 Sep 2015

La Maba accueille un duo original, Bastien Aubry et Dimitri Broquard, graphistes de formation, qui collaborent depuis plusieurs années sur des projets artistiques. Force est de constater que leur proposition est une réussite, offrant un parcours éclectique, poétique, expérimental, où les matériaux et les formes plastiques interagissent.

En résidence pendant trois semaines cet été à la Maba (Maison d’Art Bernard Anthonioz), le duo Bastien Aubry et Dimitri Broquard s’est plongé dans les archives de la Maison nationale des artistes, et a ainsi décidé de travailler justement sur la notion d’«artiste», notamment via le titre de l’exposition, «Gitane à la guitare», qui n’est pas sans rappeler un certain romantisme, ou même «le mauvais goût des peintres de Montmartre», comme le suggère malicieusement Dimitri Broquard.

Trois immenses palettes, de taille humaine, nous attendant d’ailleurs en prélude de l’exposition. On croit percevoir de la peinture dessus, mais il s’agit en réalité d’une impression numérique faite à même le bois. Ici, l’outil devient œuvre à part entière. Il n’est plus un moyen utilisé en vue d’une fin, à savoir créer un tableau. Il change de statut. On remarque que ce même geste ponctue l’exposition à plusieurs reprises. Par exemple, un chevalet tout déglingué, recouvert de peinture, se cache dans un recoin. Ou encore, le duo laisse apparaître autour de cadres noirs un ensemble de chaînes et de cordes, outils qui servaient auparavant à l’accrochage des œuvres.

Le parcours, quant à lui, est scandé par plusieurs murs de Placoplatre, révélant ainsi le goût du duo pour les matériaux pauvres ou peu nobles, réservés habituellement aux BTP ou à l’artisanat. Par là, sa volonté de décloisonner les disciplines et les catégories se manifeste tout au long de l’exposition. On mêle graphisme, artisanat et arts plastiques, on fait coexister tout type de matériau, du plus pauvre (Placoplatre donc, ou papier mâché, polystyrène) au plus noble (porcelaine).

En effet, l’œuvre suivante est tout à fait surprenante, puisque l’on découvre trois cruches en porcelaine suspendues à des sortes de porte-manteaux dégingandés. Les cruches, objets archaïques, ont été peintes, et des images provenant des archives de la Maison nationale des artistes, dans lesquelles les artistes avaient donc fouillé, ont aussi été imprimées numériquement sur la porcelaine. Ces objets dégagent une grande force, une grande beauté, avec leur surface toute cahoteuse, non lisse, irrégulière. Reproduction technique des images et création unique, jouissant de ce fait d’une aura particulière, se télescopent donc dans cette œuvre.

On retrouve ensuite Coucher de soleil en Camargue. Les fameux cadres noirs suspendus à des chaînes et des cordes n’offrent ainsi aucune image à admirer. Il n’y a pas de contenu représentationnel. C’est l’objet seul qui devient image et se fait œuvre à son tour. Cet univers noir et blanc se retrouve dans la salle suivante. Un ensemble de dessins au fusain, d’une grande élégance, couvrent l’intégralité des murs de Placoplatre de la salle. Ils évoquent l’univers traditionnel des artistes, avec des statuaires classiques notamment, comme un clin d’œil fait aux beaux-arts.

Le reste de l’espace est occupé par trois sculptures de polystyrène abstraites aux formes biscornues. Elles apparaissent comme des sortes de montages ou de collages hasardeux, de jeux de construction instables, et se trouvent également couvertes de motifs sérigraphiés provenant des archives dans lesquels les artistes s’étaient plongés. Technique traditionnelle et procédé numérique cohabitent alors ici.

A l’étage de la Maba nous attend la surprenante (et très réussie) conclusion de l’exposition. Notre étonnement naît de l’apparence ahurissante des objets qui se dressent (ou manquent de s’affaler!) devant nous. On a l’impression d’être devant des objets mous, flasques, comme des sortes de gros oreillers ou de matelas maintenus dans des structures en bois. Il s’agit en réalité de masses de papier mâché, recouvertes à leur tour d’images. Chaque objet est dédié à une thématique, déclinée en une constellation d’images glanées grâce aux moteurs de recherche d’Internet: sculpture moderniste ou classique, et «Gitane à la guitare» bien évidemment, qui vient ainsi éprouver le titre même de l’exposition, et révéler son contenu pour le moins kitsch.

Å’uvres

— Bastien Aubry & Dimitri Broquard, Noix et mandarine sur fond bleu et Ambre et neige, 2015. Impression jet d’encre sur bois croisé.
— Bastien Aubry & Dimitri Broquard, Cruche Nr. 9, 2012. Porcelaine peinte et émaillée. 25 x 25 x 18 cm
— Bastien Aubry & Dimitri Broquard, Le dessert au jardin (détail), 2015. Porcelaine émaillée, transferts digitaux, métal sablé.
— Bastien Aubry & Dimitri Broquard, Untitled, 2015. Bois, plexiglas, corde, chaîne. Dimensions variables.
— Bastien Aubry & Dimitri Broquard, Volets clos, 2015. Placoplâtre, dessin au fusain. Et Oliviers et coquelicots, 2015. Polystyrène sérigraphie.

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