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Gilles Gerbaud invite Raphäel Chipault, Le Poulailler, dessins et photographies

PEtienne Helmer
@12 Jan 2008

Sur un mode poétique et ironique, Gilles Gerbaud et Raphaël Chipault nous conduisent dans cette zone intermédiaire entre l’informe et la forme où se développe l’acte créateur, où naît son objet, où il séjourne et où il meurt.

Des photographies qui jettent sur un monde de bric et de broc – un vieux tabouret fait de planches vétustes et de clous rouillés, un poulailler, un banc de tôles assemblées – ce regard distant et respectueux qu’on pose d’habitude sur des œuvres d’art ou des objets plus dignes d’intérêt; d’autres qui, à l’inverse, exhibent la face cachée de l’objet d’art académique, ici des ivoires des Antiquités Orientales du Louvre, dont seule apparaît la base, avec son numéro d’inventaire et toutes les cicatrices laissées par les outils et les manipulations de toutes sortes; des dessins où le trait fin et mécanique assisté par ordinateur se mêle parfois aux traits épais de la peinture qui le redouble, le brouille et invalide sa précision rigide; le tout exposé dans un enchevêtrement à mi-chemin du désordre et de l’ordre savamment agencé.
Dans un geste poétique et ironique que n’aurait pas renié Francis Ponge pour le cageot de son Parti pris des choses, Gilles Gerbaud et Raphaël Chipault nous conduisent dans cette zone intermédiaire entre l’informe et la forme où se développe l’acte créateur, où naît son objet, où il séjourne et où il meurt.

Car pour ressaisir ce geste et son objet dans leur vérité brute, les deux artistes s’attachent moins à promouvoir le prosaïque et à dévaloriser le consacré qu’à désamorcer les conventions rigides qui sclérosent le concept académique d’œuvre d’art. Sous l’aura atemporelle et immatérielle dont «l’œuvre d’art» est artificiellement nimbée vit l’objet d’art, fragile construction soumise à la contingence de la matière, aux aléas du temps et aux blessures de l’acte artisanal.

C’est ce dont témoignent la superposition du trait mécanique précis et du trait grossier du pinceau dans les dessins de GG, et toutes les références au bricolage dans les photographies: ainsi du parking d’une enseigne de bricolage (Le Parking Bricomarché, GG), qui tient à la fois du terrain en friche et du dépotoir, sorte de non-lieu où végètent pêle-mêle des débris en attente de l’assemblage qui les fera passer du chaos à l’ordre; de même, le majestueux amas de déchets berlinois (Berlin, RC) évoque autant la démolition que la construction.
Un banc grossièrement fabriqué pour des passants de fortune, dans une zone urbaine abandonnée à une végétation spontanée et anarchique, rejoue sur un mode prosaïque, sérieux et comique à la fois, l’imitation de la nature par l’art (Le Banc, GG, RC).

La collaboration des deux artistes participe de la même intention en ce qu’elle brouille la notion d’artiste ou d’auteur par une déclinaison de combinaisons variées, notamment pour les photographies: si Le Tabouret et Le Banc sont leur œuvre commune, Le Parking Bricomarché et Le Poulailler sont de GG, mais Berlin et les Revers des ivoires d’Arslan Tash de RP.
Mélange plus raffiné encore dans Le Coureur photographié par Raphaël Chipault, qui n’est autre que Gilles Gerbaud: mais ce dernier intervient aussi dans la réalisation plastique de l’image en dessinant d’un trait orangé, sur l’avant-dernier des quatre clichés, les contours rapides du poulailler.
La conception héritée de la Renaissance qui fait de l’artiste l’origine quasi divine de sa création est ainsi écartée au profit de la réalité du travail de la production de l’objet d’art, souvent fruit de la collaboration assidue de plusieurs artisans. L’unité de l’œuvre à laquelle la convention esthétique nous fait croire se trouve elle aussi mise à mal.

Si le poulailler est le fil conducteur de cette exposition, c’est qu’il est la matrice de tout ce qu’elle nous présente. La photographie Le Poulailler n’est pas sans évoquer en effet une camera oscura d’où sortiraient toutes les images du monde de l’art dans la vision que nous en proposent ici GG et RC: proche du bricolage, l’art se révèle agencement de matériaux fragmentaires, et son produit, si minutieux et cohérent soit-il, ne se dépasse vers nulle transcendance, vers nul monde éternel et épuré de l’art. Sur une pointe fragile entre apparition et disparition se tient, dérisoire et sublime, l’objet précaire né du geste artistique.

Raphaël Chipault et Gilles Gerbaud
— Le coureur (détail), 2006. Tirage jet d’encre (pigmentaire). 40 x 100 cm.
— Le Poulailler, 2005. Tirage baryté. 100 x 80 cm.
— Bancs, 2006. Tirage jet d’encre. 80 x 100 cm.
— Le Tabouret, 2006. Tirage baryté. 80 x 100 cm.

Raphaël Chipault
— Sur le tracé du mur, 2006. Tirage baryté. 50 x 60 cm.

Gilles.Gerbaud
— Parking du Bricomarché, assemblage trouvé, 2004. Tirage jet d’encre (pigmentaire). 50 x 60 cm.

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