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Fusées n°13

Revue bisanuelle d’art et de littérature, Fusées fait la part belle à la poésie : yiddish, jargon et inventions sont au sommaire de ce treizième numéro.

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Présentation
Directeur de la publication : Mathias Pérez
Fusées n° 13

«Le printemps, c’est mauvais pour les gouvernements», préface de Jacques Demarcq

«L’art aussi… lorsqu’il s’inspire d’avril : « the cruellest month » comme l’écrit Eliot. L’art (la poésie, la danse, le cinéma, etc.), c’est ce qui est cruel avec les convictions ; qui construit des palais avec de la gadoue ; qui préfère l’impur ; qui entend octobre en avril et grince dans l’harmonie ; qui roule sur des roues carrées (des formes tendues) pour que ça secoue ; qui déplace les lignes, change les couleurs, empêche les mots d’être définitifs ; qui développe un savoir-faire de non-maîtrise et ne sert pas, tant il est ingouvernable. L’art ne sert pas, sinon à rester vivant, un humain parmi d’autres. C’est du moins mon indéfinition : du côté des modernes — ces vieux schnocks ! Ou de cette revue, Fusées : un pétard entre amis, pour appeler les voisins.

Tout irait bien si l’art pouvait rester chez lui, s’il n’avait besoin de son contraire : le monde. Oh ! pas pour se vendre, pas même se donner, lui si généreux. Non; il a besoin du monde parce qu’il y puise des matériaux qu’il transformera: mots, sons, couleurs, histoires, images ; parfois même des idées. Or, le monde va mal, toujours mal : c’est dans sa nature. Il offre des mensonges ou (variante) des non-sens, devenus plus pesants et collectifs avec les progrès techniques, et du coup moins faciles à retourner en fiction. Car l’art n’a que de petits moyens, individuels – que les modernes regroupaient de temps à autre, mais c’est fini. Qu’est-ce qu’un livre, un spectacle, une expo, face à la barbarie pas seulement culturelle, la marchandisation mondialisée, celle des humains aussi ?

D’année en année, l’école publique réussit à analphabétiser davantage d’enfants pauvres. À l’autre bout, l’université renonce à former des êtres pensants pour mieux professionnaliser une main d’œuvre docile et qualifiée. Bilan : la jeunesse consomme et consent. La visite d’un dictateur terroriste ne la fait pas descendre dans la rue — ah, de mon temps, on en aurait brûlé des drapeaux libyens ! La perspective de plus de labeur et moins de temps à soi offerte par un président Disneyland ne semble pas davantage émouvoir la jeunesse instruite.

Ne reste donc que les vioques ! Qu’ils réunissent leur 50, 60, 70 printemps et battent le pavé, en déambulateur s’il le faut. Avec des slogans sanglants : « À bas la TVA; taxez la télé », « Banques ! Krack ! Boum », « Lire ! écrire ! Penser ». La police hésite, puis dégoupille les lacrymos. Des lance-seringues sortent des chaises roulantes et le Temesta calme les sans-force-ni- ordre. Le soir, les écoles primaires sont occupées, un QG insurrectionnel siège à l’Agagadémie. Libé, le lendemain: « L’hospice se rebiffe ». Il Manifesto : « Avanti i vecchi ! ». The China Daily : « Market Down ». The New York Times : »’68 Revival ».

Peu importent les résultats, et le toujours fallacieux conflit de générations. Pas grand monde n’a compris Mai 68, sinon peut-être Deleuze et Guattari : « Le possible ne préexiste pas, il est créé par l’événement. C’est une question de vie »… Et le propre de l’art ; car c’est ce qui se produit dans une Å“uvre entre ses éléments qui crée du possible ; voire : du sens. Le printemps, c’est bon pour l’inspiration.»