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Fuse

PPierre-Évariste Douaire
@12 Jan 2008

Les stroboscopes laissent tomber des carrés de lumière sur le sol. Ici les boules-à-facettes sont des échelles-vitrails. Elles fonctionnent comme des fenêtres colorées. Elles laissent passer la lumière mais pas le reflet des spectateurs. Le monde de Dean se construit comme un passage dont la lumière inonde le couloir en une kyrielle de pixels.

Stephen Dean a transformé la galerie en cathédrale moderne. La fibre sur laquelle il joue est moins hiératique que lumineuse. Ses modèles ne sont pas les grands vaisseaux gothiques aux gargouilles effrayantes et aux nefs élancées, mais les temples païens que sont Paris et surtout Las Vegas. Artiste né en France et vivant à New York, il est tout naturel que cette double culture provoque chez lui une adoration des idoles.
À la figure du Messie il préfère plonger dans le paganisme du dieu Néon ou dans la folie de la ville Lumière. À un éclairage naturel et divin, il préfère le stuc et l’artifice, il s’approprie le halo vulgaire et kitsch qui inonde les main streets américaines. À la place d’une lumière directe, il préfère celle qui est projetée par nos écrans cathodiques et ceux des jeux vidéos. La proposition lumineuse qu’il nous présente est prise entre pixel et vitrail.

Avant de pouvoir accéder à l’autel, avant de pouvoir communier avec le Très Haut, avant de pouvoir regarder la vidéo très « clipée » en guise d’Eucharistie, le spectateur-communiant doit passer dans un couloir parsemé d’échelles transformées en de véritables vitraux. Des verres dichroïques sont placés entre chaque marchepied et transforment l’escabeau en nuancier multicolore. L’échelle devient alors un miroir coloré. L’image du spectateur s’y reflète, son regard est stoppé ou prolongé par cette façade de verre. Cette installation de fortune posée à même le mur projette sur le sol un échiquier coloré.

Ces vitraux d’un genre particulier imposent au lieu une quiétude et une majesté et cela malgré la pauvreté des moyens employés. À l’opposé d’un bidouillage amateur les échelles-scupltures fonctionnent comme des vitraux d’un genre original. Le résultat est beau, discret et simple. Les carrés arc-en-ciel posés sur le parquet évoquent tout un pan de l’art contemporain qui est traversé par l’architecture et le design.
Au départ contestataire, cet art hérité des années soixante-dix est désormais édulcoré de toute contestation comme l’atteste les pavillons de Dan Graham ou le dernier travail de Buren sur la verrière de la galerie Marian Goodman. Le poil à gratter esthétique est désormais devenu un savoir-faire artistique. Et du savoir-faire, il y en a dans cette installation colorée. Il y a ces escabeaux en guise d’arc de Triomphe, fardés de verreries, il y a surtout au-dessus de l’autel No More Bets une vidéo hypnotisante et lancinante. Les carrés de couleurs de Mondrian posés à même le sol façon Carl André, sont devenus des pixels d’écran vidéo.

C’est dans une ambiance de kermesse que ce déroule ce film de huit minutes. Malgré un montage saccadé, « clipé »; malgré une juxtaposition d’images tantôt floues, tantôt lointaines; malgré l’alternance de gros plans, le sujet reste clairement identifiables, et la virtuosité reste au service de la thématique de l’exposition.
Dean filme Las Vegas au microscope et utilise une bande-son incrustée de caisses enregistreuses et autres roulemenst de machines à sou. Les carrés de lumière sont multiples et généreux, au loin le scintillement de la cité se confond et répond au tintement de flûtes de champagne. Tout tourbillonne dans un mouvement contrôlé et agréablement enlevé. Pas d’hyper vitesse, mais des images qui apparaissent et disparaissent à travers un fond sonore précis et envoûtant.

Le film est pris entre reportage et abstraction. Au premier genre, il emprunte un discours sans texte ni slogan, sur une ville simulacre; au second, il emprunte une capacité à se fondre et à faire grésiller les images, à les mosaïquer, à les pixelliser, à leur rendre l’âme comme dans les ruptures de canaux satellitaires.

Ce joli tour de force qui parvient à faire d’un exercice de style une œuvre personnelle et stimulante, est réussi par l’emploi d’un vocabulaire contemporain qui emprunte et qui cite autant qu’il recycle. Les nuanciers de Richter ou les pavillons de Graham sont les modèles mythiques qu’il est bon de vouloir dépasser.

Stephen Dean
Entrée :
Balance (#1), 2003. Échelle en aluminium, 9 verres dichroïques. 292 x 35 x 6 cm.

Premier étage :
Balance (#2), 2003. Échelle en aluminium, 9 verres dichroïques. 292 x 35 x 6 cm.
Balance (#3), 2003. Échelle en aluminium, 12 verres dichroïques. 385 x 35 x 6 cm.
Balance (#4), 2003. Échelle en aluminium, 9 verres dichroïques. 292 x 35 x 6 cm.
Balance (#5), 2003. Échelle en aluminium, 12 verres dichroïques. 385 x 35 x 6 cm.
Balance (#6), 2003. Échelle en aluminium, 13 verres dichroïques. 405 x 35 x 6 cm.
No more bets, 2003. Vidéo DVD, 7’30.

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