ART | CRITIQUE

Fugues

PSarah Ihler-Meyer
@19 Jan 2009

Comme son titre l’indique, l’exposition Fugues a pour objet la fuite hors de tout système de référence, qu’il soit artistique, scientifique ou culturel. La dérision et la mise en crise sont les deux procédés auxquels recourent les artistes, afin d’assurer leur évasion.

Ramener des médiums artistiques au statut d’antiquités : voici la stratégie adoptée par quatre des artistes présents à la galerie Hussenot. Sagement rangés dans un angle, un chevalet et un croquis composent Le Drapé #A de Santiago Reyes. Après la réduction moderniste de la peinture à ses éléments fondamentaux – le pigment et la surface plane –, en accord avec la fin de la peinture prétendument accomplie par Frank Stella, Reyes relègue ses ustensiles au placard, expose ses conditions de production davantage que ses réalisations. La survie hors d’un système est assurée par sa mise à mal.

Le vieillissement anticipé se poursuit à l’étage avec Feuille blanche #6 de Benoit Maire. Suspendu au mur, ce qui semble être une peinture sur bois des plus rustiques, est en réalité le fac-similé d’une feuille à carreaux. Représentée sur un tel support, la feuille de papier apparaît aussi désuète que les plaques de marbre utilisées par les grecs.

Plus loin, Desafio #1 d’Elise Florenty réserve le même sort au crayon à papier. Six crayons en bois de deux mètres de haut sont posés contre un mur. Monumentaux, ils prennent l’aspect de totems, d’objets mystérieux au passé lointain. Avec Join the work in Japan (Knowledge) de Pierre Joseph, un écrou et du fil d’aluminium, placés sous des coupes de verre, s’apparentent à des pièces d’un musée des sciences et des techniques. Ainsi, dans l’une et l’autre de ces œuvres, le regard à adopter est celui que la postérité aura sur de tels spécimens. Favoriser le regard rétrospectif est une manière de transformer le présent en passé pour mieux s’en défaire.

Parallèlement à la dérision — ci-dessus analysée — la  mise en crise assure à cinq autres artistes leur échappée. L’art, compris comme mimésis, telle une fenêtre ouverte sur le monde, est symboliquement perturbé par Miss-conceived d’Eric Stephany. Fixé au mur, un carreau de verre est sali d’une traînée noire, de telle sorte que ce qui devrait être transparent devient opaque. L’idéal de transparence, propre à la représentation, est également mis à l’épreuve avec The New Picturesque de Cyprien Gaillard. À la surface de peintures de paysage, l’artiste a interposé des morceaux de papier blanc. Ainsi, la lecture des images est troublée par le rappel de leur surface d’inscription.

La destruction des modèles se prolonge avec Elise Florenty pour se faire créatrice. Desafio #2 consiste en trois structures métalliques de table, renversées et amputées. Sans-dessus-dessous, ces tables, difficilement identifiables, prennent l’aspect de sculptures étranges : la tabula rasa implique le renouveau. C’est aussi ce que Volèrent…(projectiles) de la même artiste donne à penser. Des lettres noires de tailles différentes, prises dans du béton, sont éparpillées pêle-mêle au sol. A partir de ces débris, le spectateur est invité à former ses propres mots. Si un mur s’écroule, un autre se lève.

Enfin, avec Seven, Five et Eight de Lili Reynaud-Dewar, la déstabilisation s’étend aux systèmes numériques. Un huit, un cinq et un sept, en bois peint de noir, de vert et de jaune, sont visibles au rez-de-chaussée, à l’étage et contre un mur. Posés sans ordre ni logique, ces chiffres découpent de manière arbitraire l’espace et le temps du visiteur. Autrement dit, le décompte numérique du temps est rendu à son arbitraire, voire, à son absurdité.

Latifa Echakhch
Hospitalité, 2006. Phrase gravée au mur. Dimensions variables.
Elise Florenty
— Desafio #1, 2007. Crayons en bois de 2 mètres.
— Desafio #2, 2007. Trois tables en métal. 180 x 80 x 80 cm.
— Volèrent…(projectiles), 2008. Dimension variable selon installation.
Cyprien Gaillard
The New Picturesque, 2008. Papier, carton. 20,5 x 28,5 cm.
Pierre Joseph
Join the Work in Japan (Knowledge), 1997. Table et deux objets manufacturés. Edition 1/1. 80 x 85 x 70 cm. 24 x 30 cm.
Benoit Maire
Feuille blanche #6, 2008. Crayon à papier et gouache tempera sur planche de sapin brut de sciage.
Lili Reynaud-Dewar
— Seven, 2007. Bois peint, chemise, cuire, impression sur papier. 230 x 100 x 30 cm.
— Five, 2007. Bois et peinture. 56 x 74 x 9 cm.
— Eight, 2009. Bois et peinture. 72 x 40 x 9 cm.
Santiago Reyes
Le Drapé #A, 2009. Bois, draps, croquis et chevalet. 200 x 140 x 47 cm.
Eric Stephany
Miss-Conceived, 2008. Double vitrage, aluminium, silicone. 30 x 30 cm.

AUTRES EVENEMENTS ART