ART | CRITIQUE

From A to B and Back Again

PGérard Selbach
@12 Jan 2005

Vingt-sept visions-interprétations de notre monde, vingt-sept mises en vue dans cette exposition collective où l’individualité de 15 artistes, britanniques pour la plupart, s’exprime clairement autour de la question du médium et de la fonction de l’art dans notre société. Une expression de l’effervescence créatrice de l’art actuel outre-Manche.

Simon Moretti, artiste-curateur, présente un vaste panorama de l’art qui prévaut sur la scène britannique, dans sa variété d’expressions et sa diversité de moyens formels. En tout, quinze artistes sont proposés dans la singularité de leur démarche picturale via une ou plusieurs œuvres.

S’ils expriment leurs préoccupations dans des visions personnelles, un thème, très ancré dans notre monde, semble servir de fil conducteur et les mettre en connivence : la société de communication et de consommation.
Le titre de l’exposition, d’abord, suggère la réversibilité, le bouclage ou la circularité de la communication. Ensuite, la proposition réalisée en néons roses de Simon Moretti, Fame (2005), est un signe par excellence de visibilité provocatrice de notre société de consommation où la publicité est reine.
Moretti devient son propre médium et média, ce qui n’est pas sans rappeler la formule : « The medium is the message ». L’enseigne est une tautologie, flashant un besoin de reconnaissance, une affirmation de sa quête d’atteindre la célébrité et d’entrer dans le star-system.

L’anonymat ne sied guère aux artistes, surtout « après Andy Warhol », pourrait ajouter Goshka Macula. Celle-ci prend le contre-pied de l’artiste Pop et de son showbiz, et préfère questionner plus discrètement la muséographie en explorant les frontières qui définissent les structures de l’exposition, et en fournissant un environnement total aux œuvres des autres artistes qu’elle intègre aux siennes dans des vitrines, recréant ainsi un nouvel espace muséal résolument anti-« cube blanc » (After Andy Warhol, 2004).

Joe Scanlan, quant à lui, s’interroge sur les objets quotidiens, leur utilité et leur valeur esthétique et d’usage dans un projet réalisé sous les auspices de la ville de Birmingham. Black Country Rock (2003) est composé de dix sacs plastiques noirs, remplis de déchets synthétiques. Le titre est une référence à la chanson de David Bowie qui parle de la ville minière de Hull, et le portrait de Mick Ronson, guitariste du chanteur, orne les sacs. Scanlan veut faire de son travail un manifeste engagé et montrer que les conditions sociales difficiles des habitants de la cité industrielle affectent l’expression de son art, le choix des matériaux et les critères de fabrication et de production. Ce thème était décliné en plusieurs travaux dans l’exposition proposée par l’artiste à Birmingham en 2003, comme par exemple Pay Dirt, dont le titre polysémique résumait avec pertinence la pénibilité du travail, les bas salaires et la saleté environnante, et justifiait le tas de charbon et la pelle exposés.

Gabriel Kuri, lui aussi, retraite les signes de la société de consommation en un « art commercial ». Deux produits, puisés dans la vie quotidienne, et leurs publicités sont transformés en artefacts en les exposant sous la forme de deux tapisseries en laine : o.b. tampons (2003) et Adult Diapers (2003). La matière et le format du support créent un décalage et une nouvelle destination dans un lieu qui les marque comme art. Avec Milk Crate and Empty Bottle Enlarged to 130% (1998), Elisabeth Wright procède à une démarche identique et propose un casier en plastique bleu et sa bouteille de lait vide, symbole iconique de la fin d’un mode de vie britannique (la livraison de lait à domicile par le milkman), ce qui explique son grossissement d’échelle.

Autre symbole iconique, celui de la plante verte dans son bac en plastique blanc, sorte de caoutchouc, (Untitled Structure, 1987-2004) qui ornait tous les bureaux et appartements, surtout dans les années 1970 et 1980. Une fois encore, la transposition de lieu proposée par Gareh Jones change la fonction et le sens.

HCK (Furniture Sculpture)(2005) de John M. Armleder offre une autre illustration de la société de communication. La disposition centrale des deux fauteuils noirs manufacturés crée un lieu de conversation où l’on échange des idées quoique le tapis bordeaux très plissé, qui sépare les deux sièges, semble suggérer l’impossibilité de communiquer. Dans une démarche très duchampienne, Armleder exhibe des ready-made et le lieu de l’installation en change le statut de meuble et le sens.

Avec Vertical Black Shelf (2004), Shahin Afrassiabi questionne la fonction d’un objet lorsqu’on modifie sa position habituelle. Dans ce cas, il prend une étagère et la place verticalement. Celle-ci n’offre alors plus de point d’appui et devient une composition linéaire, sans profondeur. Seule sa verticalité est perçue, ce qui déstabilise la vision qu’on en a. Ce n’est pas sans rappeler les travaux du « geometric abstractionist » américain, Charles Biederman.

La vidéaste Heidi Kipeläien, produite sous le code HK 119, propose six clips musicaux et chantés à tendance punk : Excess, Buy me, Censor Me, 23.45 enregistrés en 2003, Malfunction et In-valid en 2004. Chanteuse à la présence très forte et à la musique très rythmée, elle compose des chansons inspirées par la science, le consumérisme, la nourriture et le corps en tant qu’objet de consommation. Elle est une artiste douée de talents multiples qui enregistre ses vidéos, se produit dans des cabarets et réalise des performances.

Allen Ruppersberg présente une œuvre sur papier de 2002 et trois affiches datant des années 1990, au moment où sa réflexion le portait à étudier la place des textes, de l’écrit et la fragmentation de la pensée dans la vie. Il travaillait également sur la technique de la fiction jusqu’à obtenir, dix ans plus tard, The Novel that Writes Itself (2001) : « En 1990, je me suis rendu compte que j’avais écrit cinquante textes sous la forme de posters et que, par suite, le roman s’était auto-écrit ».
Les Posters Objects exposés font partie de cette collection de phrases de 1988 : « Is one Thing better than Another ???? », « Where should I go ? » et « True or False / For or Against ». Sa pratique sur les livres l’amène à rechercher des moyens de perpétuer la présence du narrateur et de l’auteur en dépit du temps qui passe, de photocopier des romans comme Walden de Thoreau, The Picture of Dorian Gray d’Oscar Wilde et Sexus d’Arthur Miller et d’afficher les photocopies sur des pans entiers de murs de galeries pour leur donner le statut d’art, se poser des questions sur l’authenticité des textes photocopiés, sur les différences entre original et copie, entre mots écrits et mots transcrits.

Changement de décor avec les fleurs, les nuages et les arabesques qui sentent bon la nostalgie de l’année 1968 et les motifs psychédéliques des pochettes de disques des Beatles, comme celles de Hey Jude et de Lady Madonna, que Lily van der Stokker affectionne tout particulièrement.
L’artiste s’adonne aux couleurs fraîches, tendres, bleu et rose pastel, qui illustrent les papiers peints d’une chambre d’enfant et qui célèbrent la petite fille tendre, naïve et innocente que Lily a dû rester. Il n’est qu’à regarder ses markers sur papier Ru Paul (1994) et The Bloom Girls (1995) pour s’en convaincre. Elle s’en explique : « J’aime l’art. Beaucoup de gens n’ont pas compris que, si mon travail est si optimiste, c’est parce que j’aime l’art ».

Cette exposition pluraliste tisse un patchwork de pratiques et de retraitements de réalités opérés par les artistes. Les fragments de parcours artistiques présentés forment comme les pièces d’un puzzle d’un vaste champ pictural qui s’emboîteraient pour composer un tableau très british.

Allen Ruppersberg
— Honey, I Rearranged the Collection and the Collection Rearranged me, 2002. Ecran de soie et techniques mixtes sur papier. 79,5 x 110 cm.
— Posters Object (« Is one Thing Better than the Other »),1988. Impression sur toile. 56,5 x 35 cm.
— Posters Object (« Where should I Go »),1988. Impression sur toile. 56,5 x 35 cm.
— Posters Object (« True or False/Foror against »),1988. Impression sur toile. 56,5 x 35 cm.

Babak Ghazi
One Man Show, 2004. Tiroir, feuilles métallisées, poster. 16 x 30 x 46 cm.

Elisabeth Wright
Milk Crate and Empty Bottle Enlarged to 130 %,1998. Verre et plastique. 65 x 46 x 34 cm.

Gabriel Kuri
— Adult Diaper, 2003. Tapisserie de type gobelin en laine. 140 x 120 cm.
— O.B Tampons, 2003. Tapisserie de type gobelin en laine. 140 x 120 cm.

Gareth Jones
Untitled Structure,1987-2004. Monstera deliciosa, bac en plastique blanc. Dimensions variables.

Giorgio Sadotti, Russian Dolls, 2004. Papier, plexiglass. 56,6 x 43,5 x 4,2 cm.

Goshka Macuga, After Andy Warhol, 2004. Livre, feuilles d’argent, cuir, plexiglass, bois. 32 x 25 x 4 cm.

HK119
— Excess, 2003. Vidéo. 2’17.
— Buyme, 2003. Vidéo. 2’32.
— Malfunction, 2004. Vidéo. 3’40.
— Censor Me, 2003. Vidéo. 2’38.
— 23.45, 2003. Vidéo. 2’29.
— In-valid, 2004. Vidéo. 1’26.

Joe Scanlan
Black Country Rock, 2003. Encre effaçable sur sac plastique, saleté synthétique. 6 litres.

John M. Armleder
HKC (Furniture Sculpture), 2005. Fauteuils, tapis. 290 x 210 x 70 cm.

Lily van der Stokker
— What ?, 1995. Marker sur papier, cadre bois. 30 x 21 cm.
— The Bloom Girls, 1995. Marker sur papier, cadre bois. 29 x 37 cm.
— Ru Paul, 1994. Marker sur papier, cadre bois. 49,5 x 39 cm.

Mathieu Mercier
Sans titre, 2004. Acrylique sur toile. Diam. 70 cm.

Shahin Afrassiabi
Vertical Black Shelf, 2004. Bois, acier, carton. 152 x 9 x 18 cm.

Simon Moretti
Fame, 2005. Néons. 278 x 180 cm.

Sylvie Fleury
— Tapis Yoga Gucci, 2001-2002. Bronze. 143 x 55 x 2cm.
— 5400, 2005. Diamants Swarovski. Dimensions variables.

AUTRES EVENEMENTS ART