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Fresque, Femmes regardant à gauche

Paco Dècina travaille depuis plus de vingt ans sur une question chorégraphique fondamentale : la relation entre le corps et l’espace de la danse. Tout au long des années, sa recherche se peaufine, la danse qu’il donne à voir devient une épure et l’espace, minimaliste et non-figuratif, se débarrasse de tout décor et accessoires pour prendre les allures d’un environnement total pour la danse, où lumière, son et vidéo s’entrelacent pour créer des images fortes.

Dans Fresque, femmes regardant à gauche, il est de part en part question d’image, qu’elle soit mentale ou sonore, projetée ou incarnée par des danseurs. Le chorégraphe est parti d’une « fresque du musée archéologique de Naples : des corps de femmes surgies des cendres de Herculanum. » La danse ne pouvait être que très imagée, statuaire. Le chorégraphe parle d’une peinture vivante d’un temps qui change. L’exploit des danseurs, qui mènent une danse énergique, tantôt acrobatique, tantôt rampante — une véritable performance physique —, reçoit des connotations nouvelles dans ce spectacle conçu autour de la vidéo et des dialectiques qu’elle ouvre : enregistrement / écriture ; captation / création ; le même / l’autre ; simultanéité / décalage.

La pièce commence par une séquence de danse où des femmes sont plongées dans l’obscurité, alors que cette danse est projetée sur l’écran. Par ce dispositif même — la consistance et la densité des corps que nous devinons seulement, l’image qui se donne comme enregistrement physiquement impossible d’un ici et maintenant et qui ouvre la possibilité d’une faille temporelle — tous les sens sont en tension, la perception spatio-temporelle du spectateur est troublée, déstabilisée.

Fresque, femmes regardant à gauche explore la dimension polymorphe de la vidéo. Cette dernière est d’abord un environnement visuel, imagé, physique, dans des séquences où le plateau devient surface de projection d’une image que nous ne reconnaîtrons jamais ou au contraire qui circonscrit des espaces figuratifs, comme ces plans d’eau où la danse se fait plus fluide et les images semblent réagir aux mouvements ondulatoires qui les habitent : image, impression, illusion du concret de la matière.

La vidéo devient le médium de la danse au même titre que la lumière parfois réduite aux seuls rayons des projecteurs. C’est une lumière chargée de la densité et de la texture d’une image qui s’éparpille sur le plateau et se concrétise au contact de la peau des danseurs. Qu’ils exécutent une danse hiératique ou une danse très physique avec chutes et jetées, toujours les corps sont tendus et cherchent la limite de l’équilibre. Le mouvement se fige dans ce point d’équilibre / déséquilibre ultime, avant que l’inévitable chute ne parvienne, qui s’ouvre vers l’infini, d’où l’impression statuaire de l’audace de toujours chercher cette frontière.

Enfin, la vidéo constitue la dimension métatextuelle qui donne le sens de toute la gestuelle de la pièce, dans une séquence où la scène se transforme en dispositif interactif : les gestes des danseurs se donnent à voir dans leur consistance charnelle et en même temps s’inscrivent dans une mémoire virtuelle, projetés sur l’écran en tant que traces. La séquence du dispositif interactif donne à cette danse très plastique et sculpturale une signification de par son inscription même dans l’espace défini entre le plateau, l’écran et les rayons de lumière modulée selon l’image projetée, inscription qui matérialise le temps qui passe. Pour que la fin nous réserve, à travers un zoom dans l’image jusqu’à entrer dans une nébuleuse où le geste se confond avec la matière, la perte dans l’infinitésimal…

— Chorégraphie : Paco Dècina
— Musique : Frédéric Malle
— Lumière : Laurent Schneegans
— Scénographie vidéo : Serge Meyer
— Images vidéo : Frédérique Chauveaux
— Interprètes : Orin Camus, Vincent Delétang, Chloé Hernandez, Sylvère Lamotte, Noriko Matsuyama, Jesus Sevari, Takashi Ueno 

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