ART | CRITIQUE

Fred Sandback

PFrédéric-Charles Baitinger
@01 Juil 2008

Comment produire une sculpture qui n’a pas d’intérieur? Comment suggérer la présence d’un volume sans l’opacifier? Autant de questions qui sonnent comme des paradoxes ne pouvant recevoir de réponse. Et pourtant, ce sont là les questions que Fred Sandback s’est posé et qui ont présidé à l’invention de ses sculptures en forme de toile d’araignée.

A n’en pas douter, l’œuvre de Fred Sandback a quelque chose de désespéré: quand d’une main l’artiste s’efforce de réaliser des sculptures, de l’autre, il fait tout son possible pour en faire disparaître la matérialité; pour faire de l’espace lui-même le point de départ de multiples formes virtuelles qui attendent, pour se réaliser, d’être vues par un tiers.

Dans son œuvre polygone, par exemple, le spectateur est confronté à un espace vide  délimité par un fil courant à quelques centimètres du sol. Le reste de l’œuvre est une affaire de conscience; de jeu de dupe avec nos attentes, avec nos croyances, avec nos peurs. En un sens, il n’est pas faux de dire que devant les sculptures de Fred Sandback, le spectateur invente plus de la moitié de l’œuvre. 

Reprenant ainsi à son compte la célèbre formule de Hume qui voulait que «la beauté d’une chose n’existe que dans l’esprit de celui qui la contemple», ses œuvres n’ont pas d’existence propre en dehors des efforts que font les spectateurs pour apprendre à les voir.
Mais que voient-ils exactement? Un simple espace vide? Une zone sous tension? Un espace strié? Qui pourra le dire? Chaque œuvre de Fred Sandback travaille à même le vide; là où l’absence de matérialité se transforme en une invitation au rêve.

Mais comment une telle démarche est-elle apparue dans l’esprit de l’artiste? L’anecdote mérite d’être contée: lassé d’entendre les plaintes répétées de son ami à propos de son travail, George Sugarman (lui-même artiste sculpteur) dit en 1966  à Fred Sandback: «Eh bien ! Si tu es fatigué de toutes ces parties, pourquoi ne pas juste tracer une ligne avec une bobine de fil et t’en contenter?». Et c’est ainsi que sont nées les premières Sculptural Study que l’artiste n’aura de cesse de déployer pendant presque quarante années. 

Confessons-le: il est difficile de ne pas voir dans l’œuvre et la vie de Fred Sandback (qui s’est suicidé dans son atelier en juin 2003) la présence d’une contradiction qui rend son personnage et son travail tout à la fois énigmatique et fascinant. Prisonnier d’une problématique que lui seul pouvait comprendre, l’être hors-norme qu’il fut mérite tout notre respect et notre admiration — car il a tenté de donner forme à ce qui, par définition, ne pouvait en recevoir. Et en un certain sens, il a réussi.   

Fred Sandback
— Sans titre (Construction with Four Vertical Elements), 1976. Fil acrylique bleu. Dimensions variables.
— Sans titre (Six-part Leaning Construction), 2002. Fil acrylique jaune. Dimensions variables.
— Sans titre, 1989. Pastel sur papier. 76,2 x 57,2 cm
— Sans titre, 1967. Acier, corde élastique et peinture jaune acrylique. 232,4  (haut) x 39,4 (large) x 232.4 (profondeur) cm
— Sans titre (Sculptural Study, Ten-part Vertical Construction), ca. 1996/2008. Fil acrylique noir, bleu, blanc et ocre black. Dimensions variables.
— Sans titre (Polygon), 1975. Fil acrylique rouge, installation 112 cm de haut.
— Sans titre  (Polygon), 1997. Fil acrylique noir black. 153,7 x 105,4 x 108,6 x 161,9 x 100,3 cm
— Sans titre (Sculptural  Study, Cornered Construction), 1981/2008. Fil acrylique noir black. 294 x 376 cm / 9 éléments.
— Sans titre (Sculptural Study, White Wall Relief), 2003/2006. Peinture blanche, acrylique sur bois. Ensemble (4 panneaux) : 91,4 x 173,4 cm.

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