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Frasq édition 2012

La 4e édition de Frasq, festival de la performance à Paris et en Ile-de-France se déroule du 06 au 28 octobre 2012. Avant de revenir cette édition, pouvez-vous revenir sur la genèse de Frasq?
Anne Dreyfus. Aujourd’hui, la performance est partout. Cela témoigne de l’état actuel de la création artistique. Désormais, les artistes s’emparent de l’ensemble des outils mis à leur disposition. Ils ne se limitent plus à leurs domaines. Ils partageant l’image, le son, l’écriture, etc. La création actuelle est éclatée, multiforme. Les formats utilisés ne s’inscrivent plus dans des catégories précises. Depuis plusieurs années je ressentais cette dynamique. Etant moi même artiste-chorégraphe, j’avais également dans ma pratique la sensation d’être confrontée à des formats trop rigides dans lesquels il fallait se formater absolument.

C’est dans ce sentiment que s’inscrivent Le Générateur et Frasq?
Anne Dreyfus. L’espace du Générateur a été conçu comme une page blanche, sans configuration préétablie, sans hiérarchisation des espaces. L’idée était de tout réinventer à chaque fois autour de l’œuvre et de l’artiste physiquement présent. Frasq est né en 2009. Le festival est venu s’apposer à l’espace du Générateur avec la volonté de marquer un temps fort dans la saison artistique tout en affirmant l’identité du lieu pensé spécifiquement pour la présentation de projets aux formats inhabituels.
J’ai choisi le mois d’octobre pour programmer Frasq afin de profiter de la dynamique impulsée par la rentrée artistique (Fiac, Nuit Blanche, etc.). En 2006, la Nuit Blanche a d’ailleurs coïncidé avec l’ouverture du Générateur.
Le festival s’est d’emblée ouvert à d’autres structures créant ainsi un parcours plus riche et diversifié. Il s’agissait, non pas de travailler seule, mais d’inviter des lieux, des collectifs, des artistes, de soumettre des propositions et ainsi de participer à la programmation. Cette ouverture a aussi permis de montrer des formats qui ne pourraient pas être mis en œuvre au sein de l’espace de Gentilly.

Frasq est principalement consacré à la performance. Comment la définissez-vous? Quelle approche en avez-vous ?

Anne Dreyfus. Le terme de «performance» est devenu éculé. A l’origine, il ne désignait d’ailleurs pas une pratique artiste. Avec Frasq, je suis peut être à la recherche d’un nouveau terme, non pas pour m’éloigner de ce que je présente déjà mais plutôt pour en préciser la forme. Le festival est évidemment l’héritier de toute une histoire de la performance depuis les années 50. Cependant, il y a à Frasq des «choses» que l’on ne peut pas nommer performance. Il s’agit souvent de formats inhabituels croisant plusieurs médiums. Dans le contexte artistique actuel, le terme «performance» est trop vague.
A Frasq, les évènements peuvent durer cinq minutes, une heure, parfois même s’étendre sur une soirée de six heures, voire plus. Les formats sont ouverts et flexibles. L’essentiel est de rester proche de la réalité de la création d’aujourd’hui. Finalement, la performance n’est pas bloquée dans une définition fixe, elle nous échappe constamment et c’est cela qui est intéressant. La multiplicité des propos est la base du festival, où il s’agit de retrouver un désir, de susciter des curiosités, de bousculer des habitudes. Tout ceci en douceur évidemment!

Cette année plus de 50 artistes sont invités, pour quelle programmation?
Anne Dreyfus. Lors de la première édition de Frasq, j’ai réellement tenté de définir un axe ou une thématique. Mais j’ai vite abandonné cette idée qui m’est apparue trop restrictive. Je ne voulais pas non plus affecter la création des artistes et forcer leurs projets afin qu’ils correspondent au thème choisi. Cela ne me semblait pas pertinent. A Frasq il n’y a donc pas de thématique. Le parti pris réside dans l’envie de prendre un risque ensemble: artistes et organisateurs.
La programmation se fait de manière totalement empirique, au gré des rencontres. Evidemment avec le temps des relations naissent et avec elles des fidélités. Il est vrai que d’une année à l’autre certains artistes reviennent. La programmation dépend également de notre capacité de production. Nos budgets — qui n’en sont pas encore réellement — ne nous permettent pas de contacter un artiste et de lui proposer un cachet afin qu’il vienne faire une performance.
A Frasq c’est donc l’échange et le partage qui prévalent. Par exemple la seconde année nous avons accueilli Marina Abramovic. Elle a tout de suite répondu positivement à notre appel. Elle est donc venue à Frasq avec un groupe de performers pour présenter durant six heures non-stop une performance. Depuis nous sommes toujours en contact et envisageons à terme des projets communs.
Il s’agit donc de maintenir un équilibre entre une structure qui doit encore se fortifier au niveau de l’équipe et des moyens tout en préservant une flexibilité dans le contenu.

Vous dites vouloir vous situer dans «une zone à risque», qu’est-ce que cela signifie?
Anne Dreyfus. Je parle de «zone à risque» parce que certaines propositions peuvent l’être: subversion potentielle, format, attitude de l’artiste face au public, etc. C’est toujours un pari, une musicalité singulière. Le résultat est toujours une découverte. Mon rôle est en quelque sorte celui du chef d’orchestre. J’organise la programmation et paradoxalement je n’en détiens pas tous les paramètres. La plupart du temps je n’ai pas vu ce que les artistes vont faire. Evidement nous avons discuté avant, mis au point l’organisation technique. Il reste que c’est au moment du «live» que je découvre l’œuvre. En ce sens il s’agit d’une «zone à risque!»

Et la fréquentation… Quel est le public de Frasq? A-t-il évolué depuis 2009?
Anne Dreyfus. Frasq c’est le temps fort de la saison au Générateur. C’est le moment où l’on accueille le plus de monde. Depuis 2009, le public a évolué. D’une part parce qu’en dehors du festival nous proposons des évènements, des expositions d’art plastiques, etc. Cette programmation nous a permis de développer un public plus local. Les habitants de Gentilly s’emparent donc du lieu — encore perçu comme un endroit dans lequel il se passe des choses bizarres! Le bouche à oreille fonctionne, ce qui nous permet aussi de toucher les villes avoisinantes. Le développement de la communication via internet et les réseaux sociaux a également contribué à attirer ici un public très hétéroclite.
J’essaie de faire en sorte que Le Générateur ne soit pas un lieu où l’on consomme du spectacle. Choisir de venir ici n’est pas anodin. Bien qu’à côté de Paris, venir ici relève de la décision. On ne vient pas pour repartir tout de suite. Une autre temporalité s’instaure dans ce lieu. Il est question de rendez-vous.
Par ailleurs, au Générateur il n’y a pas de séparation entre l’espace scénique et le public. L’espace n’est pas déterminé. Le visiteur doit choisir sa place, et de fait rentrer dans le projet. Il est donc physiquement présent, au même niveau que les participants — artistes et performers. On demande donc au spectateur d’être actif sans que cela ne soit pour autant vécu comme une agression.

Quels sont vos projets? Avez-vous déjà une idée de l’orientation que prendra la 5e édition?
Anne Dreyfus. L’édition 2014 sera une surprise! Pour l’instant c’est une page blanche pour l’an prochain et c’est très bien. En attendant le prochain Frasq, Le Générateur propose plusieurs dates. Eric da Silva présentera en novembre une performance littéraire et multimédia, Je m’appelle Jimmy Hendrix. Il y aura également la seconde édition de Trois en un la sculpture. Pour l’occasion, Le Générateur collaborera avec La Maison des arts contemporain Chaillioux et l’Espace Camille Lambert. L’artiste Frédéric Lecomte invitera, quant à lui, une quinzaine d’artistes durant dix jours. Et bien d’autres choses encore…