ART | CRITIQUE

Frantz Lamothe

PNatalia Grigorieva
@12 Jan 2008

Frantz Lamothe surprend et amuse, émeut et attriste. Usant de ses expériences comme matière première de sa création, il offre au spectateur des peintures généreuses, fortes des interférences culturelles et des métissages.

De ses origines haïtiennes et de son expérience internationale, Franz Lamothe célèbre un heureux mariage. Couleurs éclatantes, corps lascifs et, parallèlement, violence, angoisse et têtes tranchées. Ses peintures récentes se distinguent du reste de son travail par leur aspect paisible en surface. Moins chargées et plus figuratives, elles véhiculent un renoncement — peut-être passager — au chaos, une certaine sérénité en comparaison des travaux antérieurs qui affichaient ouvertement leur nature sombre.

Le terme de métissage est celui qui convient le mieux à ce travail qui, dans un style primitiviste et quasi-enfantin, fait la synthèse des épisodes marquants de la vie de l’artiste: découverte de New York et de la violence urbaine, adolescence dans la rue en compagnie des deux acolytes Jean-Michel Basquiat et Keith Haring, les galeries, la redécouverte du pays natal, puis des pérégrinations aux États-Unis, en Allemagne, au Japon, en France…

De ses tumultueuses vies antérieures, Franz Lamothe a gardé des fragments qui, dans sa peinture, se fondent en un tout harmonieux et singulier.
La réalité paraît distordue, se met en place le décor d’un monde composite, d’une somme d’éléments du réel et du quotidien agencés selon une logique onirique aléatoire telle que l’a envisagée Freud.

Ainsi, on arriverait presque à décomposer ses toiles et à deviner l’origine de chaque parcelle du sujet et les circonstances dans lesquelles elles ont été vues. Cette spécificité est particulièrement frappante si l’on considère une toile comme Ice Skating in Rockefeller Center.
Sur la célèbre patinoire devant le non moins célèbre building new-yorkais, une jeune femme évolue, entièrement nue à l’exception d’un masque vaudou, tandis qu’une Statue de la Liberté vivante s’introduit par le côté pour braquer son regard halluciné sur le spectateur.
Voilà une recomposition réussie d’images générées par différentes cultures. Il en est de même pour Man Being Eaten by a Fish, inspiré originairement par la vision d’un poisson assez immense pour avaler un homme, mais rappelant également un épisode biblique, celui où Jonas est englouti par un monstre marin.

Des têtes, des animaux, des végétaux, des étoiles… Leur ensemble orchestre une comédie humaine faussement naïve en contournant les clichés et en renonçant à fournir au spectateur une quelconque information qui permettrait de situer avec certitude l’action dans le temps, les protagonistes dans une strate socio-culturelle ou une tranche d’âge précise.

L’homme est dépouillé de ses artifices et des faux-semblants, surpris, comme le transsexuel de Tolerance, dans son intimité où sa fragilité se fait évidente. Il baigne dans un univers poétique sans cesse menacé par les violentes intrusions d’un monde extérieur hostile matérialisées par une arme à feu, une traînée de sang ou quelques visages diaboliques.

Quant à la couleur, elle se fait, tour à tour, caresse, expression subtile d’un sentiment ou présage d’un danger potentiel. De la jovialité insouciante au drame il n’y a qu’un pas comme en atteste Man in Bottle. Un homme, dont le visage exprime une touchante perplexité, est emprisonné dans une bouteille. A l’extérieur, une créature des îles, dans une attitude racoleuse, inspecte les environs tandis que le soleil brille et l’arc-en-ciel déploie ses couleurs chatoyantes.
On croit saisir une allusion à l’isolement, à la solitude, à la bouteille jetée à la mer contenant un message, un appel au secours. Frantz Lamothe émeut et fait sourire, surprend et capte l’attention.

Mais notons tout de même un bémol: la présence en nombre de petites silhouettes noires exprimant par leur attitude une palette de sentiments et d’humeurs. Éléments incontournables des récentes toiles de Franz Lamothe, ils ont le défaut de faire penser de manière trop prononcée à Keith Haring qui avait fait de ce genre de bonhommes sa marque de fabrique, son emblème. C’est pourquoi leur omniprésence chez Franz Lamothe est gênante. Mais on passera outre cet aspect qui chiffonne quelque peu, car le travail de l’artiste est d’une qualité indéniable et capitale. Même si la peinture de Frantz Lamothe se compose d’impressions et d’expériences personnelles, elle n’en est pas moins aux antipodes de l’hermétisme. Elle se donne généreusement et totalement au spectateur.

English translation : Margot Ross
Traducciòn española : Santiago Borja

Frantz Lamothe :
— Man in Bottle, 2006. 162 x 130 cm.
— Ice Skating in Rockeller Center, 2006. Acrylique sur toile. 162 x 130 cm.
— Sans titre, 2006. Acrylique sur toile. 130 x 70cm.
— Tolérance, 2006. Acrylique sur toile. 147 x 90 cm.
— In Bed with Soxia, 2006. Acrylique sur toile. 147 x 90 cm.

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