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François Erlenbach et Patrice Marie

La loi d’août 2003 a marqué une étape importante en faveur du mécénat des entreprises. Si le modèle français reste à la traîne, les progrès sont notables. François Erlenbach et Patrice Marie sont, au Ministère de la Culture et de la Communication, Chef de la Mission mécénat et Chef de projet. Ils précisent les grandes orientations de leur action.

Interview
Par Hélène Mugnier
17 septembre et 5 octobre 2004.

Hélène Mugnier. La loi du 1er août 2003, défendue par Jean-Jacques Aillagon, alors Ministre de la Culture et de la Communication, a marqué une étape importante et surtout très attendue en faveur du mécénat, en particulier celui des entreprises. Déduction fiscale multipliée par deux, le modèle français reste à la traîne par rapport à ses voisins, mais les progrès sont notables. Vous êtes tous deux actifs dans le développement d’une toute nouvelle mission mécénat au Ministère de la Culture et de la Communication. Quelle en est la mission concrète ?
François Erlenbach. Les pratiques et la perception du mécénat en France sont en train et doivent encore évoluer pour mieux répondre aux besoins de notre «exception culturelle». Or, le dispositif législatif français était effectivement peu adapté à son développement. La loi 2003 a initié un mouvement évident que la mission mécénat doit accompagner et déployer. Dans un premier temps, il s’est surtout agi d’informer et d’ouvrir un dialogue entre institutions culturelles et entreprises, en particulier les PME-PMI. Un réseau de plus d’une centaine de correspondants du Ministère a été mis en place dans une logique de proximité locale, dans les institutions culturelles régionales, les directions régionales des affaires culturelles (DRAC), et les établissements publics.
Avant la fin de l’année 2004, 90 % d’entre eux auront bénéficié de deux jours de formation et de sensibilisation à la loi, afin de s’en faire des porte-parole professionnalisés auprès des entreprises. Nous entamons la seconde phase de notre mission : le dialogue plus direct avec les entreprises, pour une meilleure connaissance réciproque de leurs problématiques de la part du monde de la culture. Renaud Donnedieu de Vabres, Ministre de la Culture et de la Communication, vient de lancer l’idée de la signature d’une Charte entre le Ministère de la Culture et de la Communication et les Chambres de Commerce et d’Industrie. A ce titre, elles s’engageront à soutenir les actions de mécénat et à désigner en interne un responsable du mécénat, relais local de sensibilisation approprié aux entreprises. Une réunion avec le MEDEF a eu lieu, dans ce même sens, le 19 octobre dernier.

L’Admical fait le constat d’une prise d’initiatives croissantes de la part des entreprises et de l’intégration du mécénat dans une responsabilité citoyenne, voire de développement durable. Est-ce que les institutions culturelles ne sont pas aujourd’hui les plus réticentes au développement du mécénat ? Ne sont-elles pas en droit de craindre qu’un désengagement financier de l’Etat ne motive cette volonté politique en faveur du mécénat privé ?
François Erlenbach. Je crois qu’il y a d’abord un facteur déterminant d’incompréhension entre ces deux univers de culture professionnelle très différente : la méconnaissance de l’autre, ne serait-ce qu’en terme de vocabulaire. C’est pourquoi notre mission de médiation est essentielle et nous n’économisons pas les déplacements pour prendre la parole. Du côté des entreprises, le mécénat est devenu une composante de la stratégie et de la rentabilité, la motivation d’image est quelque peu périmée et n’est plus essentielle. Le souci de cohésion interne ainsi que l’implication sociétale s’imposent comme de nouveaux facteurs déterminants d’engagement, mais l’entreprise n’est pas pour autant philanthrope, par définition. La reprise de la croissance leur permet aujourd’hui de se projeter sur le moyen terme et de ne plus s’arc-bouter sur des contraintes immédiates de survie. Elles sont donc prêtes à mettre en œuvre de nouvelles pratiques de mécénat. Mais il ne faut quand même pas oublier que nous sortons à peine de plusieurs décennies du «tout Etat». Si il existe une spécificité française qui laissera toujours une place très large au financement public de la culture, il faudra du temps avant que les mentalités n’acceptent la complémentarité d’un financement privé dont les enjeux ne sont pas les mêmes.

Patrice Marie. Du côté des institutions, les principales résistances tiennent à une culture historique propre à la France. Le mécénat n’est pas toujours perçu comme indispensable par les institutions culturelles. Elles ont souvent l’habitude de fonctionner avec les moyens de l’Etat, d’autant plus qu’elles ont encore parfois une appréhension négative du monde de l’entreprise. Cet a priori leur fait craindre un interventionnisme qui abaisse le niveau de leur travail, de leurs expositions. Mais il est très important de rappeler que le budget de la culture ne cesse d’augmenter (+ 5,9 % pour le budget 2005) et que les grands projets, tel que celui du Musée du Quai Branly, prouvent que l’engagement de l’Etat ne peut être remis en cause. La responsabilité de l’Etat reste d’assurer le fonctionnement de nos institutions culturelles et il n’est pas question de revenir sur cette «exception française». En revanche, les besoins culturels sont accrus, l’éducation des publics porte ses fruits, et il est grand temps d’envisager un financement privé complémentaire du développement de la culture. Les institutions culturelles doivent savoir qu’elles peuvent compter sur le financement public pour leur fonctionnement, mais elles doivent aussi intégrer l’idée que leur développement dépend également de leur ouverture à l’implication des entreprises. Une requête de mécénat ne se formule pas comme une demande de subvention. C’est aussi pourquoi, notre fonction pédagogique est primordiale pour les aider à professionnaliser leur relation avec les entreprises et à envisager cette relation comme une ouverture naturelle et enrichissante sur la société civile.

Où en est aujourd’hui la mission mécénat ? Etes-vous déjà en mesure de mesurer les retombées de vos initiatives et quelles sont vos ambitions pour l’avenir ?
François Erlenbach. La dynamique initiée par la loi du 1er août 2003 nous amène à constater bien souvent un accroissement du montant des mécénats sur cette saison 2004. Les entreprises investies dans le mécénat ont donc largement tiré parti de l’allègement fiscal pour augmenter leurs budgets en la matière. En revanche, trop peu de nouveaux mécènes se sont encore manifestés. Le travail mené auprès des PME-PMI devrait porter ses fruits dans les années à venir.
Au-delà de ces résultats quantitatifs, nous percevons un changement très progressif des mentalités. Il faut cependant être patient, une génération sera sans doute nécessaire avant que nos pratiques et notre perception à tous du mécénat n’évoluent en profondeur. En ce qui concerne la mission mécénat, nous avons pour objectif en 2005 d’ouvrir un tour d’horizon sur les modèles de nos voisins étrangers, européens et anglo-saxons en particulier.
La France est indéniablement en retard, mais il importe de tenir compte de notre spécificité historique et culturelle. D’autant que les modèles observables à l’étranger ne sont pas absolus. Il semble que ces expériences soient plutôt abouties qu’en voie de développement potentiel. Il nous faudra donc probablement construire de nouvelles perspectives créatrices et inventives.

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