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France und die elfen

10 Jan - 28 Fév 2004

Vidéos de scènes théâtrales absurdes enregistrées au ralenti; «vidéos urbaines», accompagnées de musique électronique où les défauts de l’image mettent en valeur les particularités des villes; photos sous verres, tirées à partir de films.

Annelies Strbà
France und die Elfen

Annelies Strbà
Traduit de l’anglais par Eric Moreau
Annelies Strbà est venue à la vidéo plus ou moins par hasard. Les organisateurs de l’exposition Antechamber à la Whitechapel Art Gallery de Londres voulaient passer commande de portraits vidéos des artistes participants. Préférant s’en charger elle-même, Strbà s’est achetée une caméra. Il en a résulté son premier travail sur ce support, Max(1997), dans lequel elle choisit ses filles pour se représenter.
La scène se déroule dans la cuisine, où un grand nombre de ses photographies ont aussi été prises.
Ses filles mettent la table et la débarrassent, cuisinent, jouent avec le chat de la maison: il s’agit d’un théâtre de l’absurde qui répertorie tout ce qui s’est passé dans cette pièce au cours des vingt années précédentes. Les mouvements des deux personnages principaux forment un ballet psychédélique, enregistré au ralenti, où l’image passe du flou au net, où les couleurs vives des vêtements bavent à l’écran.
La caméra est plongée au cœur de l’action, emportée par le flot de cet après-midi ritualisé de façon presque grisante, mue par des stimuli externes, des nuances de tons et une dynamique de l’espace succinctement esquissée.
Depuis lors, Strbà ne tire ses images que de sa caméra, sélectionnant des pauses qu’elle agrandit ensuite en différents formats. Tout ce qu’elle veut bien dire pour expliquer ses choix, c’est qu’il y a très peu d’images valables. Après les toiles imprimées de clichés en noir et blanc de ses débuts, ses prises de vue en DV réalisées jusqu’en 2003 sont transposées sur du papier photo mis sous verre, ou bien fixées sur toile grâce à une nouvelle technique d’impression.
Cette forme de «photographie sous verre», qui gagne en puissance en grand format, insuffle à l’image une sorte de clarté et de transparence. Alors qu’ils se rapprochent déjà beaucoup des «Lichtbilder» æ «images de lumière» æ pour employer un des premiers termes allemand désignant la photographie (notamment dans le cas de sa projection de diapositives intitulée Shades of time) ses visuels semblent regorger encore davantage de lumière.
Dans les premiers travaux de Strbà, on a l’impression que la seule présence de l’artiste æ «quand elle ouvre le diaphragme et ferme les yeux» æ suffit à influencer et transformer ses sujets. Cela fait-il de l’artiste une médium, une visionnaire, un champ magnétique ? Il est surprenant de constater que de son côté, elle reste une page blanche au milieu de ces petits récits, une énigme et, pour citer Georg Kohler, un «centre invisible». À l’origine, il était prévu que les «vidéos urbaine», comme les nomme Annelies Strbà, constituent une trilogie : New York (1999), Paris (1999) et Berlin (2000). Plus tard, elle y a ajouté la courte bande Venise (2001), bien qu’elle ne soit pas une «vidéo urbaine» au sens strict, puis de nouveau New York (2001).
Dans Max, et en particulier dans Koi, l’idée originale pour New York, Paris et Berlin était simple. Strbà s’est contentée de faire un tour de la baie de Manhattan, de prendre le bateau-mouche à Paris, et de visiter la tour TV de Berlin, et de filmer tout ce qui passait devant son objectif. Seuls les films en eux-mêmes révèlent qu’elle n’est pas une touriste «comme les autres». Les touristes «comme les autres» cherchent à saisir la ville dans ce qu’elle a de plus spectaculaire.
La particularité des visuels de Strbà devient flagrante de par leurs défauts supposés: image floue, débordement des couleurs et surexposition.
Par la surexposition, les objets abandonnent leur fonction réelle pour devenir apparence éphémère au doux chatoiement. Le débordement des couleurs, lui, que Strbà a utilisé pour la première fois dans sa vidéo Berlin, manipule la signification du sujet représenté: Berlin, où des flots de voitures s’écoulent entre des bâtiments violet-turquoise, apparaît en même temps délavée et contrôlée à outrance, à la fois surchauffée et réfrigérée à l’excès. Une lumière éblouissante ronge ces images et se reflète en couleurs d’une artificialité écœurante.
La ville, comme aveuglée par son histoire, semble chercher à dissoudre son passé dans ces teintes criardes. Un élément architectural surgit à l’image avec la régularité d’une aiguille d’horloge. Un son oscillatoire et stridulant vagabonde au fil des images comme un circuit imprimé complexe mis à nu. Les «vidéos urbaines» sont accompagnés d’une bande sonore composée par Pe Lang. La portée de sa musique électronique, bien que minimaliste, est immense. Tout d’abord illustré par le mouvement silencieux des embarcations et de la plate-forme rotative de la tour TV, le «son» de la ville, sans doute audible depuis le bateau, est mis en contraste avec des motifs sonores novateurs et fascinants. Le film vient soutenir rythmiquement les profondes modulations de tension de la dynamique, le tout produisant un effet saisissant. À chaque fois, la musique est composée selon un procédé modulaire. Dans Paris, par exemple, une note de base, générée par résonateur, est introduite dans le système, divisée en plusieurs fréquences, transformée et reconstituée. L’ordinateur ne sert que de moyen de stockage. Pe Lang compose directement devant une projection des images : il expérimente et cherche jusqu’à ce que sa musique, qu’il décrit lui-même comme «secondaire», entre avec elles dans une relation d’inspiration mutuelle insaisissable.

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