ART | CRITIQUE

Fragile

PTsama do Paço
@12 Jan 2008

L’exposition «Fragile» est l’occasion de voir réunis 9 artistes contemporains proposant une réflexion sur le rapport au corps. Du film à la peinture, en passant par des installations et des objets, chaque œuvre amène un questionnement différent non dénué d’ironie.

La Générale, «laboratoire de création artistique», a laissé carte blanche aux jeunes commissaires d’expositions Andreina Chaffoteaux, Natalia Grigorieva, Federica Rella et Danyu, pour présenter «Fragile». Ces œuvres d’artistes contemporains développent le thème de la fragilité autour de la représentation physique. En effet, quoi de plus vulnérable qu’un corps nu, exposé aux yeux de tous et qui peut être facilement meurtri, lacéré, abîmé ?

Dès l’entrée, nous remarquons le tableau de Pascal Pillard (L’Apprenti sorcier et la Grande faucheuse) représentant un homme se masturbant à côté d’un écran de télévision. Nous observons ce corps mi-vivant dont la tête disparaît dans une effusion de fumée rouge. Les autres peintures de l’artiste s’inscrivent dans ce registre du corps décharné, mélangeant des tons doux à des brouillons de sang, des aplats à des coulures.
La fragilité corporelle est aussi sensible chez Frédéric Léglise. Ses trois tableaux se fondent parfaitement dans l’espace brut: des femmes mi-nues, aux corps roses sur fond blanc, dans leurs pensées, une cigarette à la main. Les tonalités pastel nous invitent à contempler cette féminité qui s’épanouit sans vulgarité.

Toujours sur le thème du corps et de ses limites, les peintures (Selfportrait Tower 4 et 5) de Tianbing Li intriguent: des morceaux d’organes unis dans un mélange de peau. Nous nous surprenons à découvrir un œil par ci, des dents par là… L’artiste soulève la question de l’identité (lui-même né en Chine et vivant en France), le mélange de cultures qui tiraille le corps par des règles, des envies, des interdits. Cette ambivalence est développée par les tableaux Champignons 1 et 2 où, sur des couches de peinture bleu-verdâtre formant un champignon monstrueux, nous pouvons reconnaître des éléments anecdotiques du quotidien (rouge à lèvres, hamburger, médicaments…) Comme si l’intérieur des organes était envahi et pourri par tout ce que la société de consommation impose.

Les assemblages-sculptures de Jean-Michel Pradel-Fraysse sont suspendus au mur tels des trophées de chasse. Ce sont en fait des reproductions agrandies d’un cœur avec ses artères en arborescences. Ces Cœurs Trophées évoquent la forme des bois de cerf, symbole de puissance, tout en nous rappelant à notre faiblesse d’humain. En effet, notre vie ne tient qu’au fil de ces organes.

Disséminés dans le lieu d’exposition, les Masques de Conversation de Karine Bonneval évoquent la complexité du langage. La tentation est grande de décrocher ces masques de cuir sur lesquels des lettres sont apposées autour de la bouche. Mis sur le bas du visage ils pourraient dire à notre place ce que nous n’osons pas formuler. L’habit de parade intitulé Faire la roue flotte au milieu de l’espace, nous avons envie de nous y glisser afin de prendre confiance et de pouvoir séduire.

Au delà de la faiblesse physique, la vidéo de Fan Zhe (Allumettes) illustre le rapport au temps, à la fragilité de l’instant. Filmée en gros plan, nous contemplons une allumette qui brûle, puis d’autres qui succombent à la flamme pour perdre de leur superbe et finir recroquevillées. Ces quelques minutes de fascination nous mènent à une réflexion métaphorique sur la vie qui passe. L’installation poétique de Fan Zhe Le Champ des Femmes est, elle aussi, composée d’allumettes brûlées qui, dressées sur un agglomérat de bois, évoquent un cimetière décimé. Une seule grande allumette en résine, éclairée de l’intérieur, émerge de ces cadavres de brindilles.

Les pénis féminisés (en peluche, perles ou maille) de Marianne Batlle désacralisent l’organe masculin pour nous proposer des objets qui font sourire. Cette prise de distance humoristique et les questions soulevées par les oeuvres donnent à l’exposition «Fragile» un intérêt tout particulier. Les fausses caméras de surveillance et les mesures de distanciation (Don’t Stay so Close to Me) de Rodolphe Huguet participent à cela en illustrant les frêles limites entre espace public et privé, la sécurité et le voyeurisme. L’œuvre «finale» de Pascal Bircher se présente sous la forme d’un flacon surdimensionné de fausses larmes… Cela réinterroge l’ensemble de l’exposition : est-ce notre âme qui est fragile ou notre enveloppe charnelle ?

Les oeuvres exposées forment un tout qui prend sens par rapport à la thématique, le choix pertinent de l’accrochage faisant naître un véritable dialogue entre elles.

Tianbing Li
— Sans Titre, 2004. Huile sur toile.
— Selfportrait Tower # 5, 2006. Laque sur toile. 195 x 130 cm.

Fan Zhe
— Le Champ des Femmes, 2007. Résine, allumettes, terre cuite.

Jean-Michel Pradel-Fraysse
— Coeur-Trophée, 2006. Techniques mixtes.

Pascal Bircher
— Tearbox, 2006. Boîte en contreplaqué stratifié, acrylique, sérigraphie. 175 x 65 x 65 cm.

Marianne Batlle
— Armée Rouge, 2007. Laine, fils de fer, dimensions variables.
— Maison Close, 2006. Laine, perles, broderies, strass, dentelles, rubans. Dimensions variables.

Karine Bonneval
— Le Flamant, 2001. Tissu, broderies.

Pascal Pillard
— L’Apprenti sorcier et la grande faucheuse, 2006. Technique mixte. 130 x 190 cm.

Frédéric Léglise
— Deborah in Her Bath, 2006. Huile sur toile. 89 x 116 cm.

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