ART | CRITIQUE

Fractional Factories in the Snow

PFrédéric-Charles Baitinger
@16 Mai 2008

Les sculptures abstraites de Liam Gillick ressemblent à la face émergé d’un iceberg : la lumière ne se reflète sur leurs structures transparentes que pour mieux en masquer la profondeur. Mais pour qui les contemple avec un oeil averti, elles s’enfoncent dans les eaux noires d’une fiction politique qui elle, a de quoi faire frémir.

Mélangeant fiction littéraire, analyse théorique et création plastique, l’exposition «Usines partielles dans la neige», troisième volet de la trilogie Construccion de Uno, n’a de sens qu’à être regardée de l’intérieur — depuis le texte qui l’accompagne et sans lequel les objets qui la compose restent incompréhensibles.

De la couleur au noir et blanc en passant par tous les degrés intensifs du spectre lumineux, ces sculptures abstraites sont une illustration du drame physico-pathétique que vivent les protagonistes du livre Construccion de uno: à mesure que leur vie s’épuise et se perd dans la neige, l’énergie des couleurs vire au blanc. Mais qui sont ces hommes ? Quel est leur drame, et pourquoi meurent-ils ?

Petit groupe d’individus essayant d’inventer un nouveau modèle d’économie égalitaire, ces personnages fictifs sont «à la recherche d’un équilibre qui n’a plus rien à voir avec les idées traditionnelles d’harmonie et d’efficacité. Ils considèrent la production comme un jeu : ils remplacent la valeur d’une chose par son équivalent en terme d’énergie, de temps, d’idéologie et de potentialité. Leur idée est de créer une révolution permanente». Mais, ajoute tout de suite après Liam Gillick, «leur désir de créer une économie égalitaire contient les prémisses d’une faillite rapide même si les modèles, équations et diagrammes qu’ils ont créé leur assurent que tout peut être changé et, simultanément, rester identique à soi-même.».

«Théorie du chaos», «chaosmose», «théories des systèmes complexes»; la question est toujours la même : peut-on penser l’émergence d’un ordre dont le principe d’unité ne soit pas transcendant ? A quelles conditions les éléments appartenant à un même ensemble peuvent-ils créer de l’ordre sans avoir à recourir à un autre terme qui les englobe ou les dépasse ? Voilà la question qui borne l’horizon de notre temps, et qui sans cesse vient se heurter à la seconde loi de la thermodynamique : loi dite «d’entropie» (ou de «degrés de désordre du système»).
Alors que la physique newtonienne part du principe que «rien ne se perd, rien ne crée, mais tout se transforme», la physique moderne affirme qu’à chaque transformation d’un état donné du système correspond une certaine quantité d’énergie perdue.

En imaginant un scénario dans lequel un même groupe d’hommes expérimente tous les types de relations possibles (relations hiérarchiques, collaboration, entraide, rivalité, etc.) au sein d’un même espace organisé (celui d’une usine qui vient d’être fermée), Liam Gillick s’est donné les moyens de figurer l’écart réel qui sépare la physique newtonienne de la physique moderne de Sadi Carnot. Et il faudrait même peut-être aller plus loin et dire que son œuvre tente de dénoncer les rêves communautaires (et notamment le rêve d’une économie de l’équivalence, telle que l’interrogeait sa dernière exposition au Palais de Tokyo) comme étant des rêves «newtoniens» refusant de prendre en compte le principe d’entropie.

Poussant plus loin encore cette expérimentation ludique et prospective, «Usines partielles dans la neige» concentre son attention sur l’extinction lente (mais nécessaire) de l’énergie qui anime tout système relationnel et, notamment, tout système reposant sur le travail humain. Son verdict est clair : en cherchant à transformer l’espace qu’ils habitent, les hommes s’épuisent et s’acheminent sans le savoir vers leur fin.

Les fenêtres qu’ils ouvrent dans les murs et qui se retrouvent dans les structures abstraites qui les métaphorisent en sont le signe. «Early on the last evening. The last of the few. Were lined up by the smelter. And no longer knowing what to do… slipped into the melt.»

Liam Gillick
— Structured Projection, 2008. Aluminium peint et Plexiglas transparent.100 x 100 x 20 cm
— Suspended Discussion, 2008. Aluminium peint et Plexiglas gris opaque. 200 x 300 x 30 cm
— Usines partielles dans la neige, 2008. Texte de vinyle noir et peinture acrylique sur mur. Dimensions variables.
— Collective Projection, 2008. Aluminium peint et Plexiglas transparent. 100 x 100 x 20 cm
— Rendered Rejection, 2008. 28 éléments, Aluminium peint. 200 x 273 x 15 cm

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