PHOTO | CRITIQUE

Four in One

PMarie-Jeanne Caprasse
@27 Nov 2013

Le travail de Vera Lutter est intimement lié à son dispositif de prises de vues. Mettant au point de gigantesques camera obscura en intérieur comme en extérieur, elle a choisi pour sa nouvelle série Clock Tower de s’installer au cœur d’une horloge qui domine Brooklyn. Mais nouveauté dans son travail, avec l’autre série présentée ici, Albescent, elle passe cette fois au numérique en se concentrant sur un sujet qui l’écarte de ses déambulations urbaines et industrielles: la lune.

Depuis une vingtaine d’années, Vera Lutter a mis au point un dispositif de prises de vues bien spécifique. Elle utilise une camera obscura surdimensionnée, à la taille d’une pièce ou d’un container pour capter de vastes paysages. Ainsi, c’est la lumière qui vient creuser en négatif des zones d’ombre sur le papier de grand format. Cela demande du temps, de quelques heures à quelques jours. Une durée qu’elle notifie dans le titre de chacune de ses œuvres.

Si ces grands tirages uniques collent pour ainsi dire au réel, le résultat obtenu surprend toujours par son degré d’abstraction. Il y a d’abord l’effet de négatif qui transforme les zones claires en noir et les éléments sombres en blanche clarté. Puis il y a la pose longue qui fixe une durée sur une image unique. Tout ce qui se meut trop vite n’imprimera pas le papier, ou apparaîtra dans le flou, telle une présence fantomatique.

Particularité de ce dispositif: il capte une suite d’instants pour la transformer en espace intemporel où le mouvement n’a pas de prise sur l’image. Dans la série Clock Tower, la présence du temps s’affiche visuellement puisque Vera Lutter a placé sa chambre noire dans une horloge dominant un immeuble de Brooklyn. A travers ses quatre cadrans vitrés situés aux points cardinaux, elle offre quatre vues sur New York. Mais paradoxalement, le résultat photographique nous donne à voir une forme monolithique. Le cadran de l’horloge vient sertir le paysage comme le plomb d’un vitrail tandis que les aiguilles mobiles sont pour ainsi dire absentes, ne laissant apparaître qu’une petite zone de flou.

Finalement, ces paysages d’une ville en pleine effervescence comme New York semblent hors du temps, dématérialisés, comme s’ils étaient la trace lointaine de quelque chose qui se manifesterait dans une autre dimension, vide de toute présence humaine. Cette distance est renforcée par le fait que la trace du cadran de l’horloge saute aux yeux alors qu’il faut aller chercher au second plan le paysage urbain. Cette barrière a pour effet d’aplatir l’image et de gêner le cheminement du regard dans l’espace. C’est sans doute pour cela que l’on ressent ici une froideur qui n’apparaissait pas dans ses autres séries pourtant basées sur le même procédé.

Dans la seconde salle de la galerie, une photographie de la série Pepsi Cola interior (2000) provoque une toute autre expérience esthétique. Là, grâce à la proximité des objets et leur mise en espace, nous sommes immergés dans un monde dans lequel nous pouvons déambuler et nous projeter. Et se dégage un mystère qui ouvre les portes de l’imaginaire.

Nouveauté dans le travail de l’artiste : la série de photographies de lunes commencée en 2010, Albescent, et prises cette fois au numérique avec des temps d’exposition très courts. Non seulement Vera Lutter change de technique mais elle s’ouvre à la contemplation d’un phénomène naturel, loin de l’esthétique urbaine ou industrielle qui lui est chère. La lumière et son émergence de l’obscurité est toujours centrale. Cette fois-ci avec des touches de couleurs douces subtilement ordonnées dans le grand polyptique Moon Wall III. Mais c’est aussi le mouvement qu’elle capte alors, en nous faisant voir les changements d’états de l’astre lunaire et en les juxtaposant.

S’éloignant ainsi de la mise à distance et de la fixité glaçante des premières salles, on retrouve un univers plus familier, celui de l’instant ou des instants, celui de la vie.

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