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For a Fact

06 Sep - 01 Nov 2008
Vernissage le 13 Sep 2008

Peintre figuratif, Joffrey Ferry expose à la Galerie Dukan & Hourdequin des toiles aux accents nostalgiques pleines d’humanité et de générosité.

Communiqué de presse
Joffrey Ferry
For a Fact

Cher Joffrey,

Je vous connais depuis 10 ans et, en vrai, je vous connais très peu. Je connais la peinture depuis 25 ans et j’avoue connaître très peu de chose sur elle, surtout sur celle, figurative, qui émerge dans le monde de l’art depuis 8 ou 10 ans. C’est, je crois, ce que j’avais déjà dû vous dire lorsque vous étiez jeune étudiant à l’école l’art d’Avignon et que j’y enseignais pour secrètement concevoir les prémices d’un musée qu’allait devenir la Collection Lambert, et dont je suis le directeur. Vous avez eu la gentillesse de venir me rencontrer, j’ai eu envie de vous proposer d’écrire un texte sur votre travail, tant j’ai été ravi de vous revoir en prenant conscience du chemin parcouru de votre côté depuis cette décennie décisive… et que je n’avais compris aux peintres dits figuratifs. Il était temps.

Il est bon de se rappeler qu’il y a dix ans, il fallait être un peu suicidaire pour se lancer jeune étudiant dans l’expérience de la peinture alors que plus une galerie, plus un musée ne s’y intéressait, la boudant et préférant la vidéo ou la photographie, la performance ou les installations. Qui aurait pu imaginer ce regain pictural jaillissant, venant étrangement d’abord des grandes villes du nord-est de l’Europe, mais aussi de la côte californienne à la baie de Miami et de Manhattan, du Mexique ou du Sud-est asiatique. Vous, Joffrey, n’avez pas surfé sur une mode future, ça je le sais, vous vous êtes juste tenu à votre idéal de vos débuts, perpétuant les gestes ancestraux du peintre classique, figuratif, réaliste, renouant avec les techniques les plus basiques qu’on enseigne depuis des lustres dans quelque école totalement décalée du reste du monde […].

En regardant vos peintures, disons celles des cinq dernières années, je n’ai pas trop cherché à analyser la picturalité, les qualités du geste ou des matières. Je pense être un mauvais analyste et ma formation m’a trop interdit toute divagation psychologique et esthétisante. On devine une technique sans faille, une maîtrise des moyens digne des grands. Alors, je me suis davantage intéressé à deux données dont je voudrais ici esquisser l’analyse. Si, vous l’avez compris, la peinture m’ennuie souvent, j’ai vu dans vos œuvres une permanence qui fait justement sortir la peinture des éternelles questions picturales. J’y vois davantage du panoramique, du cinématographique, du photogénique, du stroboscopique. Rien que ça !

Je m’explique. Panoramique : par les formats généralement très grands et le fait de souvent présenter vos œuvres comme des tapisseries médiévales, des boutis provençaux faits de morceaux de piqués de coton imprimé, ou comme l’adolescent accumule les posters de ses idoles sur les murs de sa chambre, n’hésitant pas dans ce patchwork de références à associer une star hollywoodienne, un beau footballeur, une icône anarchique foudroyée dans sa jeunesse, une diva des Ipod d’aujourd’hui à côté d’une légende du bon vieux rock d’antan. C’est ce que l’on voit dans vos séries passées et surtout à travers l’ensemble «For or Fact» où chaque peinture, un portrait, un paysage, une scène urbaine est à la fois un des éléments isolé, autonome, et pourtant intimement lié à un tout, dont vous seul connaissez les secrets du fil d’Ariane qui les relie les uns aux autres.
C’est aussi le principe d’un vieux panorama du XIXe siècle qui offrait des visions éclatées du monde avant l’invention du cinématographe qui allait mettre ces mêmes images bout à bout et, de plus, en mouvement. Etrangement, deux grands formats de 2008 renvoient précisément à cette imagerie de la Révolution industrielle : le cadrage serré sur les chevaux de bois d’un manège d’antan (160 x 120 cm) ou le format paysage (170 x 140cm) présentant les attractions d’une fête foraine, vidée de ses badauds et de ses enfants festifs.

Cinématographique : ce terme colle si bien à vos peintures que je n’étendrais pas sur la démonstration. Les principes très rôdés que vous utilisez pour des cadrages habiles et forts sont ceux d’un regardeur qui sait scruter le réel avec la focale imaginaire d’un cinéaste. Vos cadrages dramatisent le contenu de la peinture par de légères contre-plongées sur les immenses visages, ou au contraire, densifient les paysages tels des travellings au ralenti devenus des plans fixe où l’on attend que vous, metteur en scène de votre univers personnel disiez « Moteur ! ». Car l’avez-vous au moins remarqué, il n’y a jamais âme qui vive dans vos paysages, dans vos scènes urbaines, en périphérie, ou autour de ces maisons nichées dans les bois. Comme si vous plantiez le décor d’un film que le spectateur doit actionner mentalement pour le faire vivre, pour le réanimer.

Photogénique, Stroboscopique : si la photogénie est une évidence dans votre travail – il y a là un graphiste caché en vous qui guide vos pas et saisit mieux que personne le choix des images à peindre, le terme stroboscopique est complexe et pourtant, plus je regarde votre travail, plus j’ai envie d’associer ces deux mots pour qualifier vos peintures. Entre les titres Give me a smile (2007), New Romantic (2005), on ressent un encrage évident dans la jeunesse d’un monde nostalgique (le mien), où des célèbres pochettes très élégantes de disques des années 80 repeintes quasi à l’identique (Etienne Daho, Prince, Lou Reed, Roxy Music) avoisinent des imageries des années 90 dites Pop (Hello Kity, marques publicitaires placardées dans l’urbanisme, logos inscrits sur des tee-shirts…).

Les superpositions d’images auxquelles le père du Pop Art nous avait habituées ont ici un autre sens. Si Warhol se plaisait à associer par la technique de la sérigraphie une Marylin, une Campbell’s soup, un accident de voiture et un billet de dollar, c’était à la fois percutant esthétiquement mais surtout le maître dénonçait une société où plus rien n’avait de valeur, sans plus aucune hiérarchie ni morale.
Vous, vous construisez un univers tel un kaléidoscope de votre inconscient. Et le terme stroboscopique renvoie à mes yeux à la fois bien sûr à ces boules à facettes et autres lasers d’une boîte de nuit eighties, chez vous plus dépeuplée qu’agitée, et enfin à ces images subliminales que vos couleurs parfois franches et criardes envahissent, avec ces aplats qui laissent entrevoir des superpositions de paysages, de ronds épars, quelques cerises bleues, un doux visage en grisaille,… bref des visions qui dépassent une fois de plus le simple champ de la peinture pour pénétrer durablement dans le cerveau, tel le flash répété du stroboscope, ce mode d’observation scientifique fondé sur la persistance des impressions visuelles.

Enfin, cher Joffrey, pour terminer ce courrier un peu trop bavard, je voulais vous dire à quel point je trouve que plane dans vos peinture une qualité qui est rare et peu courante aujourd’hui : le goût de l’altérité et le don de la générosité. Votre meilleur ami, Cyrille Martinez, dont j’apprécie la qualité de ses textes avait déjà écrit sur vos œuvres et semblait s’identifier à celles-ci au point de les lire comme les signes évidents d’une « communauté inavouable », pour reprendre la belle expression de Maurice Blanchot : une fratrie faite d’évidences, de partages sans faille, de goûts communs assumés pour la vie. La générosité dont vous faites preuve de toute évidence se lit dans les formats de vos œuvres, toujours immenses, fluides et vastes. Les titres et les thématiques sont d’autres évidences prouvant que pour vous, la peinture est une déclaration d’amour et la soif de communiquer avec autrui Give me a smile pour ne citer que cette série telle une main ou un sourire tendu vers l’autre.

Vous avez eu la chance d’être exposé une fois dans une petite galerie parisienne qui je crois, n’a pas compris le sens de votre travail. Vous y exposiez les séries Rockit et Twist again au titre légèrement désabusé quand on sait qu’elles étaient composées d’une dizaine de grands formats représentant des ouvriers tanneurs, des maçons (métier que pratiquait votre père décédé), des menuisiers dans des chantiers de Marseille, des hommes aux visages souvent épuisés, concentrés sur leur tâche harassante, ou les yeux perdus dans la mélancolie de leur pays d’origine qui pour la plupart d’entre eux se trouve de l’autre côté de la Méditerranée. Cette série est une leçon d’humanité, proche des peintures réalistes des années 30 (Fernand Léger) ou des années 50 (Jean Hélion) où l’engagement politique, communiste et ouvrier, dictait le regard du peintre. Avec vous, il n’y pas de regard moralisateur, juste de la tendresse pour ces hommes, de l’attachement, de la générosité concentrée en tube d’acrylique éclaboussant toutes les fibres de vos toile, sans que vous ne vous en rendiez bien compte. Tant mieux, cela signifie que la peinture dépasse ou transcende vos intentions à votre insu !
Je vous souhaite bonne chance avec cette nouvelle exposition marseillaise qui sera, j’en suis sûr, une nouvelle étape dans votre carrière.

Eric Mézil
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