ART | CRITIQUE

Follia Continua! Les 25 ans de Galleria Continua

PJérôme Gulon
@27 Oct 2015

Pour ses 25 ans, la galerie Continua nous offre un véritable feu d’artifice, et fait souffler un vent de folie dans l’enceinte du Centquatre-Paris. En jouant sur le registre de la monumentalité ou du choc visuel, «Follia Continua» dessine un parcours ludique, accessible et jubilatoire, ponctué de cercles, roues, spirales… et autres tornades.

La galerie Continua occupe une place à part dans le paysage de l’art contemporain. Présente lors de la dernière édition de la Fiac, preuve de son rayonnement actuel, la galerie italienne, fondée en 1990 par Mario Cristiani, Lorenzo Fiaschi et Maurizio Rigillo, tous trois passionnés d’art, a connu un développement et une réussite tout à fait singuliers. Implantée dans un ancien cinéma de San Gimignano, village toscan de 7000 habitants, loin des capitales mondiales de l’art, la galerie s’installe ensuite à Pékin en 2004, en banlieue parisienne en 2007 (dans un ancien bâtiment industriel aux Moulins), et dernièrement à La Havane, jouissant ainsi d’une véritable ouverture à l’international.

Pour célébrer ses 25 ans, la galerie nous offre un feu d’artifice. Un vent de folie et de fraîcheur s’abat sur le Centquatre-Paris. Les œuvres exposées proposent un riche panorama de l’art contemporain, convoquant quelques-uns de ses plus grands noms: Daniel Buren, Ai Weiwei, Chen Zhen, Berlinde De Bruyckere, Mona Hatoum, Kader Attia, Anish Kapoor… Surtout, l’exposition joue sur le registre de la monumentalité, dans un parcours à la fois ludique, accessible et jubilatoire.

Les Tondis de Daniel Buren nous accueillent dès l’entrée de la rue d’Aubervilliers ou de la rue Curial, surplombant les portes du Centquatre-Paris comme des marquises colorées. Ces Tondis viennent aussi scander le cheminement de l’exposition, de la billetterie à la halle d’Aubervilliers, en passant par la nef Curial ou la cour de l’horloge. Le cercle, la roue ou la spirale, apparaissent tour-à-tour comme les leitmotivs de l’exposition. On remarque la ronde des mobylettes enchâssées de Moataz Nasr, et la spectaculaire installation d’Ai Weiwei, Stacked, combinant plus de 600 bicyclettes. Cette dernière œuvre fait aussi bien écho au ready-made de Marcel Duchamp, qu’à la culture populaire chinoise où tout un chacun se déplace à vélo. Une telle accumulation d’objets standardisés semble surtout symptomatique de la société de consommation: empilement, stockage, rayonnage de grand magasin, objet reproductible… Les roues des vélos peuvent être actionnées par les spectateurs mais tourneront toujours à vide, comme pour souligner la vacuité de nos productions industrielles. De même, les peaux de banane pourries de Gu Dexin nous mettent sous le nez le gaspillage, les déchets et la putréfaction inhérents à notre mode compulsif de production.

La halle d’Aubervilliers abrite une autre œuvre monumentale, sorte de vaisseau spatial ou de navire échoué. Cette immense carcasse nous ferait également penser à un gigantesque mammifère agonisant sur une plage. Néanmoins, Antony Gormley voit plutôt dans Vessel une maquette de bâtiment ou un environnement urbain. On se rend effectivement compte que la structure est découpée en différentes cases, comme une tour divisée en appartements. Les spectateurs les plus curieux peuvent alors se faufiler entre les arêtes de la sculpture, se lover dans des recoins, comme on explorerait les entrailles d’un bâtiment industriel désaffecté.

En termes d’architecture, les étonnantes pyramides de béton de Zhanna Kadyrova évoquent tout à la fois les bâtiments austères de l’administration communiste, ou le slogan de 1984 («Big Brother is watching you») avec ses inquiétantes caméras de surveillance postées au sommet de chaque arête de la structure. D’autres créatures étranges parsèment encore l’exposition. L’ange déchu de Sun Yuan et Peng Yu nous effraie de par son réalisme et le message funeste qu’il véhicule (la nature humaine serait irrémédiablement condamnée à la chute). Les carcasses de chevaux pendus de Berlinde De Bruyckere nous impressionnent encore de par leur dimension, tandis que leur poil soyeux luit dans la pénombre.

Si l’exposition se décline autour de quelques œuvres démesurées, et provoquent avant tout un choc visuel chez le spectateur, elle offre toutefois des moments plus denses et foisonnants, notamment dans l’aile gauche de la halle d’Aubervilliers. Là, on découvre bon nombre d’œuvres remarquables, parmi lesquelles les productions de Kendell Geers (sculpture de verre et de béton), Qai Guo-Qiang (dessin avec de la poudre à canon), Kiki Smith (tapisserie), ou Michelangelo Pistoletto (miroirs brisés) démontrent toute l’originalité des matériaux et la richesse des procédés convoqués chez Continua.

Ce tourbillon de folie, que déclenche allègrement la galerie italienne, se perçoit enfin dans deux œuvres immanquables. Kader Attia nous hypnotise avec Ring Theory où mille bouts de miroirs se reflètent à l’infini, alors qu’Anish Kapoor déchaîne les éléments dans une spirale vertigineuse au cœur de laquelle danse une fascinante tornade (Ascension).

Å’uvres
— Zhanna Kadyrova, Invisible Forms, 2015. Caméras de sécurité, poutres en bois, ciment. Dimensions variables.
— Kendell Geers, Mondo Kane, 2002. Verre et béton. 120 x 120 x 120 cm.
— Ai Weiwei, Stacked, 2012. 670 bicyclettes. Dimensions variables.
— Antony Gormley, Vessel, 2012. Acier Cor-Ten, M16, vis en acier perforées. 370 x 2200 x 480 cm.
— Ai Weiwei, Stacked, 2012. 670 bicyclettes. Dimensions variables.

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