ART | CRITIQUE

Figures

Vernissage le 27 Fév 2015
PFlorian Gaité
@27 Fév 2015

Sous le commissariat de Noëlle Tissier, le Crac de Sète accueille la monographie de Mïrka Lugosi qui explore avec force le potentiel plastique du fantasme et de la fantaisie. Servi par un accrochage méticuleux, le parcours de l’exposition offre une plongée dans une poésie étrange et facétieuse, mettant en tension figures naturelles et géométriques.

Mïrka Lugosi cherche à donner à sa vision mentale l’intensité et la précision de sa perception optique. En effet, bien que ses «Figures» relèvent assurément d’un pur travail fantasmatique, le rendu semble lui au contraire viser un certain naturalisme, conférant à ses modèles une intensité, une présence, une existence crédible. Essentiellement constituée d’œuvres réalisées entre 2013 et 2015 (des dessins, des impressions numériques, une vidéo), l’exposition rend compte du travail accompli durant deux résidences, au domaine d’Abbadia à Hendaye et à L’Appart à Poitiers. Faisant lien entre son vécu et l’imaginaire qu’il a suscité, Mïrka Lugosi donne corps à ces expériences de création à travers une iconographie allant du figuratif au figural, de la reproduction d’objets concrets à l’expression de forces libidinales.

Avec le dessin, son medium principal, Mïrka Lugosi semble illustrer toute la polysémie du terme «figure», désignant à la fois l’apparence extérieure (la figure humaine) et l‘abstraction intellectualisée (la figure géométrique). Les compositions graphiques, et leurs reproductions numérisées puis agrandies, sont en effet marquées par cette ambivalence esthétique qui met en tension réel et fantaisie, vérité et illusion, matière et concept. Empruntant aux avant-gardes de la modernité (à un héritage surréaliste bien assimilé), à la culture fétiche comme aux représentations domestiques des années 1950, Mïrka Lugosi ne fait pas de distinction entre les représentations collectives et les fantasmes personnels qu’elle mobilise. Dans ses environnements, tous ces résidus psychiques en effet se confondent. La nature prend des allures érotico-chimériques, le décor se transforme en «paysage excentrique» ou «carnivore» — peut-on lire parmi les titres — où des figures humaines (des femmes fortes, dominantes et debout) s’hybrident avec des animaux ou des végétaux. motifs opèrent un rappel clair au monde biologique, mais le traitement qu’elle leur réserve est aussi empreint de significations psychologiques: des cordages emmêlés, récurrents dans ses œuvres, souvent à l’arrière plan, se présentent par exemple comme des nœuds borroméens compliqués à l’absurde, figurant les méandres de la psyché. Expressions simultanées du désir et de l’angoisse, plongés dans une atmosphère grise, les dessins ne sont jamais pour autant réellement noirs ou mortifères, comptant sur l’humour et le jeu pour conjurer les peurs et les violences qu’elle couche sur papier.

Mais ce qui d’évidence force le respect est la finesse du trait et la minutie du détail. Cette précision technique confère aux dessins des nuances délicates, notamment celle des jeux d’ombres et des représentations anatomiques. Toutes réalisées au crayon graphite fin (4H), les illustrations obligent le public à se rapprocher, à les scruter, à les examiner de près pour prendre la mesure de la graphie patiente de Lugosi. L’accrochage, réalisé en collaboration avec Gilles Berquet, procède du même soin. Assurant une continuité linéaire, dessinant des courbes organiques, il met en valeur les échos chromatiques ou les résonances formelles entre les œuvres, et trace un parcours comme une errance sans histoire dans un imaginaire débridé.

Cette maîtrise du geste n’empêche toutefois pas Mïrka Lugosi d’assumer les accidents, de les intégrer à ses compositions, à l’image des tâches aux couleurs minérales qui viennent parfois se substituer aux visages. De fait, même dans l’imprévu, Lugosi trouve toujours un remarquable équilibre dans les compositions, qu’elle doit à sa pensée bricoleuse certes, mais encore à son œil de coloriste. Les fonds mats, bleus, verts ou couleur terre rehaussent ainsi en douceur la chromie générale. L’ajout de traits aux tons plus vifs, comme ces flammes qui détourent une silhouette, ne vient pas non plus jurer avec le dégradé au crayon gris, quand l’ajout parcimonieux de parallélépipèdes monochromatiques agit comme un moyen de structurer la vision, d’offrir des points de stabilité dans des lieux sans fond.

Les Autoportraits numériques constituent le second corpus d’œuvres présentées. Réalisée en 2015, cette série rassemble des photographies tirées en négatif, représentant des sujets vus de dos. Par ce jeu constant de voilement, de masque ou de contre-perspective, Mïrka Lugosi exprime, non sans humour, une identité à revers. Muse de Gilles Berquet, icône de la scène bondage et sado-masochiste, elle cultive paradoxalement dans ses œuvres un certain secret, à contre-emploi de l’usage du portrait. Leur rendu rappelle celui des photogrammes, dénotant une facture graphique qui permet de concevoir les photographies comme des projections de dessins mentaux. Lugosi, qui ne se dit pas photographe, attache une grande importance à la picturalité de ses œuvres. Colorisées in situ grâce à des filtres de gélatine bleue ou rouge, les scènes s’apparentent sous bien des aspects à des peintures, d’autant que l’ajout d’un monochrome sur toile, accolé au tableau principal, en rappel d’une des teintes principales, renforce la référence à l’art abstrait.

La vidéo Mirages, de 23 minutes, donne de nouvelles preuves de la sensibilité acérée de Mïrka Lugosi. Isolée en pleine nature à Hendaye, elle redécouvre le rapport à la nature et le sens de l’espace. Elle affirme sa force d’observation, cette attention soutenue portée à son environnement: trajectoires animales ou passage de l’eau, elle capte les dynamiques d’une nature elle-même dessinatrice, qui, entre événement et dégradation, exhibe ses propres motifs. Expérimentale, la vidéo présente également une succession de patterns kaléidoscopiques, posant ces figures abstraites au niveau des êtres animés. Dans une vitrine enfin, des ronces, des gomme qui, en soutenant la page de livres à peine ouverts, en laissent entrevoir le contenu et la boule à neige qui réactive un principe d‘anamorphose rappellent le public à ses propres projections fantasmatiques et l’œuvre de Mïrka Lugosi à sa puissance d’illusion.

Oeuvres
Mïrka Lugosi, Excentrique #29, 2013. Crayon graphite, encre, gouache et bois peint sur papier. 29,5 x 21 cm.
Mïrka Lugosi, Sans titre, 2014. Crayon graphite et gouache sur papier. 48 x 36 cm.
Mïrka Lugosi, Mirages, 2013. Vidéo expérimentale, 23 ‘.
Mïrka Lugosi, Sans titre, 2008. Impression numérique d’après dessin.
Mïrka Lugosi, Auto-portrait numérique, 2014. Impression jet d’encre. 45 x 40 cm.

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