ART | CRITIQUE

Fields, Michal Rovner

PMuriel Denet
@12 Jan 2008

Transformer la silhouette humaine en signes scripturaux, entre caractères cunéiformes et hébreux, ou pictogrammes chinois, les coucher sur des pierres, des murs, ou des cahiers, ou les métaboliser en grouillements biologiques pour rappeler l’humanité à son fond commun, fait d’animalité et de culture.

À l’entrée, un puits. En se penchant par-dessus la margelle, c’est une nuée humaine que l’on découvre en son fond : des hommes en costumes-cravates réduits à l’état de cancrelats sanglants par la force centripète d’un tourbillon.
Toute tentative d’écart est inutile, le fugitif est aussitôt ravalé par ce qui vire à la coagulation sanguine, vite défaite par de nouvelles et vaines échappées. Ce puits, creuset symbolique de nature et de culture, condense les formes et les intentions qui se déploient dans cette première exposition monographique de Michal Rovner à Paris.

Dans la salle obscure Data Zone, des boîtes de Pétri, posées sur de longues tables blanches, contiennent des bouillons de culture inédits. Ils irradient une étrange lumière, fascinant le spectateur qui surplombe, tout puissant, l’agitation des homoncules. D’une boîte à l’autre, les figures varient, sous l’impulsion de séparations, fusions, chaînages, et multiplications.

Dans la salle du Cabinet Stones, des vitrines de musée, intensément éclairées, exposent des pierres gravées et des manuscrits. Le regard balaie les caractères bâtons, minutieusement alignés, venant du fond des âges, et bientôt perçoit, étonné, que cette écriture, dans une langue aussi inconnue qu’improbable, est vivante.
Ces signes sont, là encore, des homoncules, debout, vus de face ou de profil, cette fois, qui, dans des mouvements d’ensemble, glissent latéralement, puis reprennent position, ou sautillent sur place, se baissent et se lèvent, ou encore lancent des signaux indéterminés, entre salut et détresse.

Sur deux stèles couchées dans le sable, des lignes humaines sont mues de mouvements semblables, de part et d’autre de la séparation, avec une légère désynchronisation, un camp suivant l’autre, identiques et dissemblables, hypnotiques, tout occupés à occuper la surface de leur réceptacle.
Dans une chambre mortuaire pharaonique, ces hiéroglyphes mouvants tapissent les murs de lignes continues, du sol jusqu’au plafond. Les signes-hommes se tiennent par la main, formant de longues chaînes qui avancent d’un même mouvement, sans début, ni fin, annulant toute idée de déplacement, de progression.

Ces effets surprenants sont obtenus par un traitement réducteur et démultiplicateur de l’image vidéo, qui bouleverse la perception. Transformer ainsi la silhouette humaine en signes scripturaux, entre caractères cunéiformes et hébreux, ou pictogrammes chinois, les coucher sur des pierres, des murs, ou des cahiers, ou les métaboliser en grouillements biologiques, rappellent l’humanité à son fond commun, fait d’animalité et de culture.
La silhouette, figure première de la peinture selon le mythe de Pline l’ancien, fait signe au-delà des individualités, des différences, et des conflits, dans une sorte de belle utopie, fluide et fascinante. Comme le feu.
Dernier élément pour compléter cette cosmogonie, il est lui aussi réduit à une forme essentielle. Flux incandescent, éructant, renversé à l’horizontale, comme craché par quelque dragon hors champ, ses fluctuations filent dans une souffle lancinant. Ici le matériau détourné est constitué d’images rapportées de champs pétrolifères. Des cartes postales mobiles en témoignent. Les derricks en action s’y balancent sans fin, dans les paysages monochromes de la steppe kazakhe.

La force de l’œuvre de Michal Rovner tient à cette capacité peu commune d’extraire du monde des motifs, pour en travailler les formes, et y ré-insuffler une universalité éteinte.
Au-delà de ce qui fait conflit : le pétrole, l’eau, la terre, l’Histoire. En-deçà aussi de toute idée de progression, ou de déplacement. Sous cette fluidité limpide et ludique, se profilent l’impasse, et l’angoisse, du surplace et de l’enfermement.

Michal Rovner
— Data Zone, 2003. Installation avec projections vidéo.
— The Well, 2004. Puits en calcaire, projection vidéo.
— Cabinet Stones, 2004-2005. Vitrine en acier et verre, pierre, projection vidéo.
— Time Left, 2002. Installation vidéo sonore.
— Tablets
— Postcards, 2005. Écrans vidéo encadrés.
— Fields of Fire, 2004-2005. Installation vidéo conçue en collaboration avec Heiner Goebbels pour la partie sonore.
— Fire Lines 1, 2005. Pigments sur papier.
— Fire Lines 3, 2005. Pigments sur papier.
— Fire Lines 9, 2005. Pigments sur papier.

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