PHOTO | CRITIQUE

Feux de camp, Bruno Serralongue

PAnne Lehut
@20 Août 2010

Au Jeu de Paume, l’artiste français Bruno Serralongue présente «Feux de camp», une exposition rétrospective de son travail, commencé dans les années 90 : l’occasion de revenir sur une œuvre photographique symptomatique d’une génération marquée par le développement de l’industrie de l’information.

A travers une centaine de tirages, on redécouvre le travail du photographe qui se plaît tant à brouiller les frontières entre art, document, journalisme: tout est affaire de contexte.
Rappelons rapidement le «mode opératoire» de Bruno Serralongue: les médias constituent son matériau de base. Il en extrait des informations ou évènements, se rend sur les lieux et photographie, toujours de sa propre initiative car il est est son propre commanditaire (premier point qui le distingue des photo-journalistes).
Mais il n’obéit pas à l’événement: il n’est jamais question de saisir l’«instant décisif», si caractéristique du journalisme.

Bruno Serralongue, qui ne dispose pas d’accréditation, profite de ne pas appartenir à cette «caste» pour photographier la marge de ces évènements — ce que personne ne prend le temps de voir, et donc de faire voir. L’artiste est dans une démarche de déconstruction du médium photographique comme instrument objectif qui aurait forcément à voir avec la vérité. Mais ce sont bien les conditions de production et de visibilité des images produites par l’industrie de l’information que ce travail interroge.

Bruno Serralongue procède par séries, et l’exposition du Jeu de Paume en montre un grand nombre, depuis «Les Fêtes» (1994) jusqu’au travail en cours au Kosovo. La trame de l’exposition s’affranchit toutefois de ce système par séries qui est éclaté afin de faire apparaître des thèmes récurrents. En effet, depuis les «Manifestations du collectif des sans-papiers de la Maison des ensembles», au «Earth Summit» de Johannesburg, ou jusqu’au «World Social Forum» de Mumbai, ce sont toujours des foules qui apparaissent, des communautés.

Certaines photographies apparaissent plusieurs fois dans l’exposition, tantôt en petits formats, accompagnées d’un texte qui précise le contexte, tantôt en grands formats, au milieu d’autres séries. Afin de «montrer les effets négatifs du capitalisme», Bruno Serralongue révèle des «complicités thématiques» entre ces divers événements (conférences de presse, manifestations, fêtes, etc.).

Dans les deux grandes salles du Jeu de Paume, les photographies nous entourent, sans unité d’échelle puisque les formats varient. Cela oblige le spectateur à se situer, tant spatialement qu’idéologiquement, à trouver la bonne distance avec l’image, puisque Bruno Serralongue veut éviter que l’exposition soit un «parcours guidé».

Les photographies de Bruno Serralongue peuvent entretenir une confusion avec la photographie de presse (bien qu’il utilise une lourde chambre photographique de studio et non les appareils légers des reporters), ou souffrir d’une absence de «style», et de signature. Ce travail, s’il est produit sur le même terrain que celui de la presse, il est présenté dans le monde de l’art. Il interroge la capacité de celui-ci à produire de nouvelles visibilités, et il procède à une mise en question de la photographie documentaire avec les moyens de l’art.

Bruno Serralongue est peut-être une nouvelle figure de l’«artiste engagé», qui aborde des questions sociales et politiques telles que la «résistance» tibétaine. Mais son travail va au-delà de la thématique de l’engagement, il interroge le régime représentatif des images.

En plaçant côte à côte, une photographie d’un feu de camp de la «jungle» de Calais et un feu de machines à l’usine New Fabris de Châtellerault, Bruno Serralongue produit par ce rapprochement du sens, et semble bien renouer avec l’«exigence communautaire» que Georges Bataille tenta d’accomplir.

— Célébration du premier anniversaire de l’indépendance du Kosovo, Priština, Kosovo, mardi 17 février 2009. Série «Kosovo». Tirage Ilfochrome contrecollé sur aluminium. 40 x 51 cm, ea 1/2
— Bibliothèque nationale du Kosovo, Priština, Kosovo, septembre 2009. Série «Kosovo». Tirage Ilfochrome contrecollé sur aluminium. 40 x 51 cm, ea 1/2
— Inconnu (Las Vegas), 1996. Série «Destination Vegas». Tirage Cibachrome contrecollé sur alumimium. 129 x 103,5 cm, édition 2/3. Collection Hélène Retailleau, Paris
— Condemn World Bank, WSF, Mumbai 2004. Série «World Social Forum», Mumbai. Tirage Ilfochrome contrecollé sur aluminium. 127,5 x 158,5 cm, édition 1/3
— Avenue Mohammed V pendant le Sommet Mondial sur la Société de l’Information, Tunis, 16-18 novembre 2005. Série «Sommet Mondial sur la Société de l’Information», Tunis. Tirage Ilfochrome contrecollé sur aluminium. 127,5 x 158,5 cm, édition 1/3
— Feu d’artifice pyromélodique (blanc), 16 août 1994. Série «Les Fêtes». Tirage Cibachrome contrecollé sur aluminium. 37 x 30 cm, édition 1/3. Collection Nouvion-Rey, Monaco
— Land First Mela, Rural Festival on Land Rights, Kandivali, World Social Forum, Mumbai, 2004. Série «World Social Forum, Mumbai». Tirage Ilfochrome contrecollé sur aluminium. 127,5 x 158,5 cm, édition 1/3. Musée d’art moderne de la Ville de Paris

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