PHOTO | CRITIQUE

Festival Urbi & Orbi

PJessica Todd Harper
@07 Juil 2008

Pour sa quatrième édition le Festival Urbi & Orbi de photographie et de vidéo s’est déroulé à Sedan, Charleville-Mézières et Vrigne-aux-Bois sur thème «La ville étrangère». Avec pour commissaires, Jacqueline Salmon et Françoise Morin.

L’ importance du Festival Urbi & Orbi est d’abord esthétique, ce que les subtiles déclinaisons du thème retenu illustrent bien.
La ville étrangère, c’est à la fois la ville de l’étranger, la ville étrangère à ceux qui y vivent, et ville dans son étrangeté. La ville étrangère, c’est ce lointain qui fascine ou inquiète mais invite toujours à se demander où et d’où nous sommes.

Les déambulations de Jean-Christophe Béchet autour de la gare de Tokyo donnent corps à ce va-et-vient mental entre ici et là-bas qui saisit le voyageur pénétrant en terre inconnue. Les villes étrangères ont toutefois leurs traits distinctifs, qui donne à chacun sa couleur et sa tonalité sans pareille : les voitures sous leurs housses du Caire, ou les baraques de tôle des villes de Mauritanie sont pour Deidi von Schaewen autant de marques qui font l’identité de ces villes.
Même sur une parcelle infime ou dans ses replis secrets, le territoire urbain étranger raconte à sa façon une histoire et un monde, tels la chaussée et le trottoir sous la fenêtre pragoise de Jir_ Hanke de 1982 à 2004. Sous l’objectif de Hu Yang, les intérieurs chinois sont les stigmates d’un pays entré de plain-pied dans le capitalisme sauvage : signe d’élection pour les uns, de damnation pour les autres.

La ville étrangère à ceux qui y vivent exerce quant à elle sa terrible force d’exclusion. Exclusion à l’intérieur pour les sans-abri d’Elsa Laurent : formes emmitouflées dans leurs couchages de fortune, qu’un regard de hasard sauve pour un temps de l’oubli pour les y renvoyer aussitôt. Presque exclus de la ville, presque exclus de la vue, à la frontière de la forme et de l’informe.
Comment donc trouver sa place, s’inscrire dans une ville ? C’est ce que Claire Rado a demandé à des Coréens installés à Paris et qui font part de leurs difficultés, de leur déchirement, et de leur degré d’intégration.
Mais la ville devient aussi étrangère à ceux qui y vivent quand ils n’acceptent ni ses aspérités architecturales ni sa nature profonde de lieu événementiel, et lui préfèrent le cauchemar aseptisé d’un urbanisme standardisé : telle est la vie rutilante mais oppressante que nous propose le somptueux triptyque vidéo de Robert F. Hammerstiel.

La ville étrange enfin : c’est un lieu des rencontres possibles mais où les trajectoires individuelles ne font que se croiser chez Sébastien Camboulive ; c’est le lieu où les repères sont toujours en mouvement, ce que figurent avec humour et de manière radicale les chamboulements que Laurent Dejente fait subir aux trois dimensions dans ses vidéos ; c’est ce terrioitre qui tout à la fois propose sa signification à ceux qui y vivent mais qui les sollicite aussi pour la lui donner, à l’image de ces supports d’affiches publicitaires, étrangement vides, des photographies de Sung Lee Hee.

On ne saurait hélas rendre justice à tous les artistes présentés, dont les œuvres s’inscrivent, d’une manière chaque fois singulière, dans ce schéma d’ensemble.
Mais l’importance de ce festival est aussi sociale et politique. Une aventure comme celle-ci permet de rendre leur territoire urbain à ceux qui pâtissent de son démantèlement, de ses brisures sociales sous l’effet des sinistres économiques que la région connaît depuis les années 1980.
Il ne faudrait pas croire pour autant que les Sedanais ne sont que les spectateurs des images exposées dans leur ville : ils les font, dans le cadre du festival off, mais aussi du in. Des élèves de différents collèges de Sedan encadrés par leurs enseignants proposent ainsi deux regards sur leur ville.
Le premier consiste en une confrontation historique rigoureuse entre des lieux du Sedan du XIXe et ces mêmes lieux dans le Sedan d’aujourd’hui pris depuis le même point de vue. Le second est une douce flânerie poétique au détour des rues. Manière de s’approprier sa ville, de ne pas s’y sentir simplement un résidant mais un habitant au sens le plus actif du terme.

Urbi & Orbi s’affirme donc comme l’un de ces rendez-vous majeurs où jeunes talents et artistes confirmés partagent un même souci d’inventivité et de questionnement. On attend avec impatience la prochaine édition.

Jifií Hanke
Vues de ma fenêtre. Photographie.

Elsa Laurent
Drapés. Photographie.

Sébastien Camboulive
La Limite pluie neige. Photographie.

Jean-Christophe Béchet
Tokyo Station. Photographie.

Claire Rado
Les Coréens. Photographie.

Deidi von Shaewen
Cairo. Photographie.

Hu Yang
Shanghai living. Photographie.

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