DANSE

Festival d’automne, Nocturnes

PSiyoub Abdellah
@06 Déc 2012

Le Festival d'Automne offre cette année un portrait de Maguy Marin sous la forme d'une cartographie des œuvres. Les créations retiennent naturellement l'attention des publics: Faces et les vingt-huit danseurs du Ballet de l'Opéra de Lyon et Nocturnes par six interprètes de la compagnie. Deux intenses traversées de l'obscurité, marquées par la question du temps, spectaculaire ou intime -Théâtre de la Ville ou Théâtre de la Bastille.

Dernière création de Maguy Marin et Denis Mariotte, Nocturnes se tourne vers un dépouillement formel réjouissant. Un Umwelt en noir et gris qui offre à chacun le climat propice à l’introspection, au questionnement de notre frottement au monde. Sur le plateau, les danseurs entrent et se croisent, partagent un moment –un fragment de temps sur ce fragment d’espace. Figures de petits groupes, liés par les mots, y compris lorsque leur langue n’est pas la notre.

Aux bas-reliefs de Faces correspondent les numéros de Nocturnes. Le temps tout entier est piégé dans l’espace neutre mais multiple du plateau qui prend des airs de cabaret. Parfois des pierres, lourdes, bruyantes, sont jetées sur le plateau. Parfois quelqu’un les rassemble en cairn éphémère.

A la manière de Salves, Nocturnes est rendue sérielle par la succession des noirs. Ces noirs-là sont accueillant, dus à une diminution progressive de l’intensité lumineuse. Ils fondent sur les relations plaisantes ou dures. Un noir de Soulages, travaillé de l’intérieur, épais de souvenirs, d’intimes références biographiques, de projections imaginaires. Un espace s’ouvre ancien à celui qui regarde, rendu capable de s’ajouter à ceux qui jouent.

Un espace défini en partie par une musique bruitiste produite par des d’antiques appareils à bandes qui ne jouent rien. Bandes magnétique se déroulant, déjà croisées dans Salves. Difficile d’affirmer plus fermement que le vide n’y est pas et que s’y inscrit en creux et en bosses la matière de chacun et de tous.

Comme un pendant à la masse de Faces, les interprètes s’individuent de manière forte. Rapidement nous les reconnaissons à une manière de traverser l’espace, de jeter une chanson en l’air, de croiser un autre.

Lors des ateliers de travail, chacun à fait don d’éléments biographiques pour nourrir l’écriture. Ces extraits d’existences extérieures au théâtre sont alors disposés dans la durée. Ils se répondent étrangement tandis qu’un phénomène d’écho les amplifie jusqu’à leur donner la puissance des archétypes. Ils sont enchaînés vite, de plus en plus vite, dans une course folle qui peut faire appel au pire. La dernière image, une femme assise sur une chaise, abandonnée ou presque morte, ancre le récit choral dans tragique. Et puis, non, peut-être pas. Peut-être qu’elle s’endort après une soirée passée avec d’autres, à être ensemble, à vouloir mettre un trait d’union à quand même.

Le rire, les récits, l’être ensemble, le prendre soin de nous; voilà ce qui est en scène tandis que la rumeur gronde et que les balles d’une autre guerre idiote sifflent. Voilà ce que dit Nocturnes avec une délicatesse inouïe et une invincible puissance.

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