DANSE | CRITIQUE

Festival Anticodes 2011

PCéline Piettre
@05 Mar 2011

Pour sa soirée d'inauguration, le festival Anticodes fait le grand écart entre (M)imosa, un show enragé autant qu’engagé, nourri à la subculture new-yorkaise des eighties, et Femme surnaturelle, version insipide et boursoufflée de L’Alceste d’Euripide. D’un côté, une avant-garde authentique, de l’autre sa pâle contrefaçon.

Créée et dansée par Cecilia Bengolea, François Chaignaud, Marlene Monteiro Freitas et Trajal Harrell, (M)imosa est un véritable objet non identifié, qui tient sa singularité de la variété des univers qu’elle transpose sur scène. Mélange explosif entre spectacle et performance, chant et danse, défilé inspiré du voguing et cabaret transformiste, la pièce propose une expérience de déjà-vu étonnamment novatrice. Si l’on ajoute à cela le talent et l’énergie inépuisable de ses quatre interprètes ― l’imitation de Prince par Marlene Monteiro Freitas électrise littéralement la salle et redonne tout son sens au mort performer ―, (M)imosa s’annonce comme le point culminant du festival, à l’heure même de son inauguration.

Paris is Burning
La pièce s’inscrit dans un ensemble plus vaste. Elle appartient à la série de Trajal Harrell, Twenty Looks or Paris is Burning at The Judson Church, qui s’organise autour d’une fiction historique : « Que se serait-il passé à New-York si une figure de la scène voguing de Harlem était descendue jusqu’à Downtown pour danser aux côté des pionniers de la post-modern dance ? ». Le voguing, danse pratiquée par la communauté afro et latino américaine gay de Harlem, rejouait par des poses photographiques et stylisées les types sociaux du monde du luxe et de la mode. Sa réappropriation à l’heure actuelle est donc une façon de reposer la question des minorités sexuelles et raciales et de confronter la low-culture aux avant-gardes artistiques. Le titre de la série fait d’ailleurs référence à un documentaire sociologique devenu culte, Paris is Burning de Jennie Livingston, qui décrit très justement la Ball culture new-yorkaise des eighties, rassemblée autour d’un sentiment commun de rejet et source d’une créativité subversive.

Les marges au centre

(M)imosa transpose cet univers sur la scène contemporaine, et en cela transmet un « répertoire » d’un genre nouveau, qui s’apparente davantage à un « esprit », synthèse parfaite entre contestation et énergie libertaire. Le style, le look, la façon de marcher, de parler, de bouger, de s’habiller, deviennent des formes transverses de revendications politiques visant la reconnaissance des genres au sens large : sexes et races. A grand renforts de travestissements, d’imitations, de playbacks, de transes collectives ― proches par leurs esthétiques spontanées et populaires de la Deep Aerobic de Miguel Guttierez ―, (M)imosa a réussi l’impossible fusion entre divertissement et engagement, spectacle et distance critique. Ici, les marges comptent autant que le centre, les coulisses que la scène (les danseurs se changent dans la salle, à la vue de tous, passant d’un déguisement à un autre). Et c’est dans cette porosité entre un individu et le rôle qu’il endosse que se pose la question cruciale de l’identité, premier sujet de la pièce. Une identité qui se révèle finalement plurielle, résolument plastique.

Une modernité factice

En dérisoire contrepoint aux quatre jeunes chorégraphes, l’imposante Big Dance Theater Company, pourtant très largement récompensée outre atlantique, revisite en l’appauvrissant une figure du théâtre antique, Alceste, épouse fidèle qui sacrifie sa vie pour sauver celle de son époux, Admète. Non seulement la troupe ne parvient pas à dépoussiérer l’image un peu désuète de cette femme soumise à la volonté des dieux et de l’homme, mais elle transforme l’amplitude de la tragédie en emphase. Car, comme il ne suffit pas de juxtaposer théâtre, danse et chant pour « faire » pluridisciplinaire, la réactualisation d’une Å“uvre littéraire ne se réduit pas à un déballage de gadgets censés faire rire – Alceste moustachue ou Héraclès en batteur punk – et à la modernisation systématique du décor, de la musique électronique à la mode à l’utilisation (ici totalement injustifiée) de la vidéo. Au final, ce qui aurait pu être un opéra rock déjanté sur fond de mythe grec n’est qu’une comédie musicale bas de gamme, certes parfaitement orchestrée et interprétée, mais dénuée d’autodérision et de recul critique. Le festival Anticodes, à son insu, confronte ainsi dans une même soirée, deux pièces antagonistes. D’un côté, avec (M)imosa, un spectacle de variété assumé qui fait Å“uvre ; de l’autre, avec Femme surnaturelle, une proposition faussement cultivée qui s’enlise dans la variété. La matière même de l’avant-garde et sa copie non conforme.

Big Dance Theater, Femme surnaturelle
— D’après Alkestis d’Euripide dans la traduction anglaise d’Anne Carson
— Direction, chorégraphie: Annie-B Parson et Paul Lazar
— Décor: Joanne Howard
— Vidéo: Jeff Larson
— Lumières: Joe Levasseur
— Costumes: Oana Botez-Ban
— Musique: David Lang
— Pièces chorales additionnelles: Chris Giarmo
— Technicien vidéo: Josh Higgason
— Direction de production: Aaron Rosenblum
— Avec: les performeurs Tymberly Canale, Molly Hickok, Chris Giarmo, Elizabeth DeMent, Aaron Mattocks, Pete Simpson

Cecilia Bengolea, François Chaignaud, (M)IMOSA

― Conception, fabrication, danse : Cecilia Bengolea, François Chaignaud, Marlene Monteiro Freitas, Trajal Harrell
― Lumières : Yannick Fouassier
― Chaussures : La Bourette
― Régie lumières : Sylvain Rausa

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