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Fermer les yeux. Sauver sa peau

PEmmanuel Posnic
@18 Fév 2008

Chez Elisa Pône, l’entrée en matière est une entrée en fanfare. Un sursaut, un condensé d’excitation joyeuse et libertaire. Une menace sourde également, un surgissement brutal s’écrasant au milieu de nulle part, c’est-à-dire de n’importe où. 

La curiosité du travail d’Elisa Pône réside d’ailleurs dans cette ambiguïté permanente qui s’installe, progressivement et de manière presque insidieuse, entre la légèreté de ses matériaux et la tension sauvage qui en émane. Ses micro-récits, qui enjambent le quotidien et le fantastique, prennent appui sur les mêmes ficelles : un décor anodin, sans réel fantaisie qui entre petit à petit dans une dramaturgie soudaine, virulente, hors norme. Et dans l’escalade, une humanité qui se dérobe.

Dans La Passion des fils, Pône filme deux hommes assis, la nuit, sur un banc près d’une cité. La caméra se rapproche de la scène. Ce que l’on devinait vaguement de leur jeu se dessine progressivement. Ils s’agrippent les doigts, se pincent, se griffent jusqu’au sang. Malgré la douleur qu’ils masquent derrière un rire d’imploration, ils continuent sans compter dans l’usure, le mal, l’absurdité de l’enjeu.

Si l’humanité se dérobe, c’est bien derrière une forme manifeste d’incommunicabilité. Dans Rent a Dog, Elisa Pône photographie à la dérobée une scène au milieu de laquelle se poste un chien près d’un panneau et des personnages indéterminés qui vont et viennent: «Rent a dog for a walk» est-il annoncé. Faut-il en rire ou en pleurer? Faut-il y voir de la tragédie, de l’absurdité ou du cynisme? Le message reflète cet état latent, à mi-chemin du désespoir et du désinvolte.

La voiture qui implose dans la vidéo I’m Looking For Something To Believe In, brûlée par les feux d’artifices pétaradant dans l’habitacle, répond de la même indétermination, entre joyeuses pitreries et menaces pyromanes. Tragique ou comique, chez Elisa Pône, le délire n’a pas encore choisi son camp.

Il laisse pourtant le monde perplexe. Les sirènes hurlantes des voitures télécommandées tapies au sol, prêtes à vomir les scansions des projectiles dans Boom Biddy Bye Bye et, plus encore, le diptyque As the Veneer of Democracy Starts to Fade en sont les exemples les plus percutants. On y voit une foule de manifestants plongée dans un paysage irréel et surplombé par un soleil couchant (le soleil du Grand soir?). Un silence spectral couvre la scène, au loin, la fumée des projectiles s’évanouit.

La fête est finie, on le devine. Elle laisse derrière elle comme un goût d’inachevé, de constat amer, de revers cuisant. Finalement, rien a changé, tout est comme avant. 

Elisa Pône
— I’m looking for something to believe in, 2007. Vidéo.
— La Passion des fils, 2007. Vidéo.
— Rent a Dog, 2008. 6 images numériques en noir et blanc, 40.5 x 60.5 cm (chaque).
— As the Veneer of Democracy Starts to Fade, 2008. 2 images numériques couleur, diptyque, 90 x 118 (chaque).
— Boom Biddy Bye Bye, 2007. Voiture télécommandée, système sonore. 28 x 19 x 29 cm

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