ART | EXPO

Femina

14 Oct - 30 Oct 2004

Quinze artistes internationales présentent leurs travaux sur la façon dont elles appréhendent la notion de féminin. Mais pas de féminisme , bien au contraire, elles jouent sur le duel masculin/feminin en poussant les limites d’autant plus loin qu’elles assument pleinement leur contradiction.

IngridMwangiRobertHutter, Orlan, Adriana Arenas, Florence Chevallier, Sylvie Fleury, Susy Gomez, Karen Knorr, Rosemary Laing, Mireille Loup, Cireneica Moreira, Paloma Navares, Françoise Quardon, Les Sœurs Martin, Janaina Tschäpe
Femina

Cette exposition est un regard sur la notion du féminin, à travers les travaux d’une quinzaine d’artistes internationales. Cette proposition ne focalise pas sur le sujet, plus étroit, du féminisme et, encore moins, sur une problématique axée sur le corps. Elle tente plutôt d’évoquer les différentes manières dont les artistes femmes se jouent des modes de représentation d’elles-mêmes au sens plastique et socioculturel. Il s’agit de donner à voir la manière dont elles annulent certaines frontières et confrontent les stéréotypes pour refondre les critères du Féminin, en se frottant notamment à la psychanalyse. Elles peuvent ainsi éclairer des zones d’ambiguïté que cette notion véhicule et bousculer les limites entre masculin et féminin. Elles flirtent, parfois même, avec une relative dualité de l’être, sous-tendue par une volonté de ré-appropriation de leurs attributs et de préemption d’autres, traditionnellement masculins. Elles assument ici une prise de risques pouvant mener à une possible schizophrénie entre le désir de magnifier le « pas tout » féminin, et une approche provocante, voire iconoclaste, du rapport entre l’image et son pouvoir de séduction ou de répulsion. Comme si, à l’heure actuelle, une femme se devait, non seulement, de « consacrer » son Féminin, mais en plus de le réactiver à l’aide de codes qui tendent à le refouler.

En préambule, il est important de se pencher sur la représentation du féminin à travers l’histoire de l’art, en soulignant que ceux qui l’ont construite ont longtemps confondu la féminité et ses attributs. On appréhende alors la pesante symbolique véhiculée sous un prétexte mythologique ou religieux. Celle-ci vise, à l’évidence, à édifier une morale et à contenir la femme occidentale étroitement enchâssée entre « bonne mère et prostituée », entre démon et vertu, entre Lilith, Vénus et Marie.

Le statut des femmes dans l’art est de reconnaissance récente, à peine quatre décennies, ce qui pousse naturellement à des re-lectures de l’Histoire. Plusieurs artistes l’ont ainsi analysée et nous donnent, chacune à leur manière, une interprétation ironique du sujet. Parmi elles, Karen Knorr propose une version féminine du mythe de Butades. Dans cette Å“uvre, la fiancée éplorée, incarnée par l’artiste elle-même, dessine non pas un contour d’un profil masculin mais celui d’une égérie, la scène se passant au pied d’un modèle en plâtre du Doryphorus dont on n’aperçoit que le bas. Dans sa série Vertues and the Delights l’artiste provoque gentiment avec ses gentlemen androgynes, façon XVIIIe ; photographies dont les légendes nous parlent de la vindication des droits de la femme et de l’homme. D’une façon différente, Paloma Navares remet en scène les Vénus historiques des grands maîtres – notablement tous masculins – dans des photomontages fallacieux et quelques peu endeuillés où la Venus d’Ingres palabre avec celle du Titien devant une vitre noire fumée. La Vénus d’Orlan (Orlan en grande Odalisque d’Ingres) est plus vivante, puisque c’est le corps de l’artiste qui est sur le socle. Et parallèlement, Orlan établit un lien direct entre l’extase de Sainte Thérèse et l’exposition, voire la « mise aux enchères », de sa propre personne en Vierge ou Sainte Orlan (séries Le Drapé – Le Baroque) – « Anti-ravissement », que l’artiste poussera beaucoup plus loin, quelques années plus tard dans ce qu’elle donne à voir dans sa chair. Sa série Strip-Tease occasionnel à l’aide des draps du trousseau résume, à elle seule, le regard de ces artistes car, à travers un ensemble d’une dizaine de photographies, l’artiste passe, au fur et à mesure des images, du statut de la vierge voilée à celui de la femme qui se dévoile jusqu’à redevenir Eve.

Cette relecture du symbolique est donc éminemment critique et volontairement grinçante. On peut trouver des liens avec d’autres travaux qui le mettent en scène, voire en danger, en utilisant des accessoires emblématiques encore d’actualité, comme la robe de mariée ou de princesse ; telles les photos plein ciel (série Bullet Proof Glass) de Rosemary Laing dans lesquelles l’artiste se projette en mariée dans le vide spatial, entourée d’oiseaux très « hitchcockiens ». Mais, cette mariée-ci s’écarte de l’apothéose virginale car elle est ensanglantée, blessée par balles et symboliquement stoppée en plein envol.
On retrouve également, dans la série La Mort de Florence Chevallier l’évocation d’une sacralisation endeuillée de la mariée et l’univers onirique d’Ophélie suicidée. On peut mentionner aussi ici les films de Françoise Quardon qui, en princesse ou en diablesse, rejoue le mythe de l’amour sacrificiel dans une version néo-baroque où le littéraire en-robe psychanalyse et mythologie des contes de fées. Le monde étrange et baroque de Janaina Tschäpe jette également un sort à toute une imagerie fantasmagorique comme celle de la femme vampire ou de la femme oiseau. L’artiste endosse des ex-croissances pour ses films et photographies (séries Batwoman, Devil et Ange) qui suggèrent, différemment de Karen Knorr, l’ambiguïté éternelle de la muse entre terreur sacrée et inspiration. Mais la sienne est plus solitaire, car elle se positionne de dos regardant les murs froids d’une ville étrangement vide, où elle déambule, telle une âme errante, dans les couloirs sans fin d’un château.

En parallèle et, notamment dans le contexte actuel d’universalisation de la culture occidentale, il apparaît essentiel d’aller observer comment des femmes de différentes zones géographiques se positionnent. En effet, nous ne croyons pas qu’un individu puisse échapper à son cadre socioculturel et nous pouvons constater à quel point les thématiques se recoupent : la mariée australienne de Rosemary Laing répond à la Cubaine de Cireneica Moreira, tandis que les films d’Ingrid Mwangi metaphorisent l’identité de la femme africaine à travers la vision d’une femme qui se coiffe et se décoiffe en hurlant silencieusement. Toutes trois nous parlent, chacune à leur manière, de libération et d’affirmation. Elles sont rejointes par la Colombienne Adriana Arenas dans une version parodique où elle se montre ridiculement et délicieusement séductrice quand, toute en strass et en vernis à ongles, elle danse face à la caméra sur une nostalgique mélopée latino.

Ces attributs de la séduction féminine sont également remis en scène par Susy Gomez qui confronte l’image de la femme contemporaine en oblitérant des images de mode avec de la peinture, leur redonnant ainsi une nouvelle dignité plastique dans les photographies monumentales. Ici l’artiste tend à exalter la femme en la coupant de la vulgarité habituelle de ses représentations. Ce nouveau panthéon peut dialoguer directement avec les films de Sylvie Fleury qui fétichise et sacralise les accessoires stéréotypés de la mode féminine. Dans cette dernière œuvre, le rire warholien fait face au culte de la femme-objet. Il débusque le ver dans le fruit d’une sur-consommation qui tend à édifier une image superficielle de la Nouvelle Eve en la confondant avec Marylin.

Enfin la scène de maquillage que les Sœurs Martin ont tournée devant le miroir dual de leur gémellité finit de perturber le spectateur et le met face à ses préjugés et ses propres stéréotypes en donnant une vision presque schizophrène du féminin. Et, comme pour résumer le tout, Mireille Loup nous fait voir et entendre à travers son diaporama, pendant lequel un narrateur nous conte son livre : Une Femme de 30 ans, toutes les facettes de la Femme — à la fois mère, fille, muse et femme à hommes — dans toute sa fragilité, ses peurs et ses désirs jusqu’au moment de la fin où celle-ci disparaît mystérieusement. Cette disparition révèle, peut être ici, l’ultime incapacité du geste artistique à résoudre l’impossibilité philosophique du « pas tout » féminin.

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