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Farewell to Human Scale

PMagali Lesauvage
@12 Jan 2008

La galerie Praz-Delavallade, qui vient d’ouvrir un nouveau lieu à Berlin, démultiplie ses espaces d’exposition et impose une force de proposition conséquente. Les trois artistes californiens présents exposent de la peinture (Brett Cody Rogers), de la vidéo (Andrea Bowers) et du design (Jim Isermann).

Dans l’espace historique de la galerie, on retrouve le jeune peintre américain Brett Cody Rogers, auteur d’un travail intéressant sur l’héritage du modernisme en peinture. L’artiste attribue à celle-ci une capacité à « détruire l’architecture, lui enlever toute notion de stabilité », et cite Le Corbusier : « J’admets la fresque non pas pour mettre en valeur un mur, mais au contraire comme un moyen pour détruire tumultueusement le mur, lui enlever toute notion de stabilité, de poids, etc. ».
La série présentée lui a été inspirée par la visite de la maison E-1027 à Roquebrune-Cap-Martin, conçue en 1928 par l’architecte et designer Eileen Gray. Archétype de l’architecture moderniste, la villa est laissée dans un total délabrement : par ses toiles abstracto-futuristes aux couleurs et aux arêtes vives, réalisées en larges et rapides coups de brosse dans une lumière irradiante, Brett Cody Rogers souligne la fragilité paradoxale de l’architecture, élément concret du paysage, face à la peinture, transfiguration et espace de projection infini. Il se place ainsi délibérément dans une démarche moderniste de réévaluation des codes de la peinture, non plus simple mode de représentation, mais producteur de formes per se.

En écho aux toiles de Brett Cody Rogers, le travail de Jim Isermann dialogue lui aussi avec l’art du XXe siècle. Relativement datées, puisqu’elles ont été réalisées en 1987, les œuvres Untitled (Chair & Painting) sont présentées en binômes. Couleurs et formes se répondent de la toile à la chaise, de l’œuvre d’art à l’objet de design. A la naïveté de la facture et des motifs correspondent des couleurs limitées à celles de l’arc-en-ciel. A l’instar de Brett Cody Rogers, le travail de Jim Isermann se situe ainsi délibérément dans la continuité du modernisme, tout en en caricaturant les codes, adoptant ainsi une démarche dite post-moderne, en ce sens qu’elle se base essentiellement sur la pratique de la citation. Jim Isermann évoque à propos de cette série d’Untitled (Chair & Painting) de la mélancolie, et plus précisément, « le sentiment de ne pas avoir eu l’avenir que l’on nous avait promis », ce qui en fait l’intérêt, mais aussi la limite.

Complétant l’exposition, le travail vidéo d’Andrea Bowers s’appuie lui aussi sur une démarche historiciste. Selon l’artiste, « [ses] projets sont d’ordre archéologique ». Là, l’enjeu est plus politique : Andrea Bowers se dit « à la recherche de sujets oubliés dans une sorte de décharge virtuelle », et « craint que l’on évacue des activités humaines cruciales », son travail se nourrissant « de cette peur de l’amnésie de l’histoire ».
La sublime vidéo Touch of Class (1998) montre des cheerleaders s’agitant avec frénésie au bord d’aires de jeux sportives : l’hystérie collective palpable est d’autant plus éprouvante pour le spectateur que l’image est passée au ralenti, éternisant l’instant. Objets de désir auxquels, paradoxalement, on ne lance pas même un regard, les jeunes filles illustrent une vision très pessimiste de la condition féminine. Les stéréotypes sont également à l’œuvre dans Moving Equilibrium (1999), qui représente des compétitions amateurs de patinage artistique.
On retrouve l’expression d’une hystérie collective dans Democracy’s Body — Dance Dance Revolution (2001) : de (très) jeunes individus sont filmés dansant sous le contrôle d’un jeu vidéo (Dance Dance Revolution) qui leur dicte leurs pas, le but étant de suivre avec le plus de rapidité et de constance les indications données. Andrea Bowers filme la concentration des joueurs, totalement absorbés par leur folle danse robotisée, sans but, à rebours d’une mécanisation utilitaire de l’humain, et dénonce ainsi les effets du loisir dans le contemporain, cauchemar du modernisme.

Brett Cody Rogers
Sans titre, 2007. Huile sur toile. 43.2 x 38.1 cm
Sans titre, 2007. Huile sur toile. 213.4 x 188 cm
Sans titre, 2007. Huile sur toile. 248.9 x 177.8 cm

Jim Isermann
Sans titre. Huile sur bois. Vinyle et mousse sur chaise.
Dimensions: chaise: (32 x 32 x 32”) x 4. peinture: (48 x 48”) x 4

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