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Falling Stars

PJulia Peker
@12 Jan 2008

Avant de poser des questions tactiques, la guerre est une stratégie de camouflage. La violence des rapports de force disparaît derrière toutes sortes de représentations et de discours: l’histoire s’écrit dans l’encre des légendes. Les sculptures de Timo Nasseri mettent à nu les motifs de la guerre en Irak, étoiles filantes trempées dans l’or noir du pétrole.

La violence de la guerre s’alimente à un fantasme diffus: le lointain des combats résonne à nos oreilles pétries d’informations, et la vision des cadavres hante nos esprits, heurtés par des images sanguinolentes. La réalité brute du rapport de forces et de la violence semble disparaître sous ces représentations omniprésentes, banalisées par leur circulation.

Timo Nasseri travaille sur des motifs de guerre inhabituels, loin des médias et du spectacle. Dans sa nouvelle exposition à la galerie Schleicher+lange, il présente deux types d’œuvres: les premières sont des reprises de modèles d’hélicoptères américains utilisés dans la guerre en Irak, et les secondes des sculptures abstraites laquées, noires comme la mort.

Ces hélicoptères sont entre le jouet et la peluche: leur structure en plastique est recouverte de plumes d’oiseaux harmonieusement disposées. Elles sont juste trop grandes pour être des jouets, et un peu trop petites pour être inquiétantes.
Ces sculptures portent sous leurs ailes des références multiples. Ces appareils utilisés en Irak ont été baptisés par l’armée américaine en référence aux tribus indiennes: «Appache», «Comanche» sont de véritables cris de guerre. L’habileté légendaire des indiens au combat leur vaut cette sombre paternité.

Cet hommage du vainqueur au vaincu tient dans son ombre un génocide mythique, dont le cinéma a écrit l’histoire, sur la base du précepte énoncé par Ford à la fin de L’homme qui tua Liberty Valence: «Quand la légende dépasse la réalité, imprimez la légende».
C’est ainsi que s’écrit l’histoire dans l’imaginaire collectif, l’histoire des mythes et des médias.
Le génocide indien est devenu un motif cinématographique populaire à la gloire du peuple américain. En voyant ces noms d’hélicoptères, on hésite entre l’hommage et la provocation, la dénégation et le cynisme.
Ces fausses plumes d’indiens sont de vraies plumes d’oiseaux: l’arme est camouflée en jouet, la bombe en peluche, le crime est maquillé en hommage.

La guerre est de bout en bout une stratégie de camouflage, le pire étant sans doute une guerre qui refuse même de dire son nom, usant d’une rhétorique délicate pour dénier sa réalité à l’événement. Les «poches de violence» prennent le pas sur les «combats» dans le «conflit» irakien. On ne travestit jamais tant la réalité qu’avec des mots.

Deux grandes sculptures noires reprennent l’étendard de ce travail sur la guerre. La première est celle qui donne son titre à l’exposition: Falling Star. Le terme est écrit en lettres arabes monumentales Shahab, sculptées dans une résine laquée. La beauté de la calligraphie est rehaussée par les reflets lumineux de ces volumes imposants. Mais l’imagerie nocturne et légère des étoiles filantes est ici un nom de code: Shahab est le nom donné par l’Iran à son premier missile de grande portée. Ramenée à sa lettre, cette sculpture prend une allure menaçante. Vus de près, ses volumes semble devenir des images d’armes, dressées fièrement.

Un grand drapeau noir, Flag, ondule fixement sur le mur. Timo Nasseri a repris le mouvement d’un drapeau réel, dont il a reproduit la courbe compliquée. La légèreté de la résine permet de restituer la souplesse du tissu, et les reflets sur la laque en prolongent les vibrations.

Ce drapeau est l’étendard d’une guerre ramifiée, tendue entre l’Irak et l’Iran. Les reflets sur la laque noir ont un effet liquide, l’aspect huileux du pétrole. Métaphores, symboles et non-dits sont ramenés ici à la littéralité des enjeux économiques: la poche de violence éclate dans un bain de sang, percée par la brutalité du rapport de forces.

L’étoile filante poursuivie à travers la planète est tombée dans une flaque de pétrole.

Traducciòn española : Maïté Diaz
English translation : Nicola Taylor

Timo Nasseri :
— Falling Star, 2006. Technique mixte. 300 x 130 x 26 cm.
— Flag II, 2006. Technique mixte. 185 x 98 x 20 cm.
— Comanche, 2006. Technique mixte. 175 x 190 x 40 cm.
— Apache, 2006. Technique mixte. 120 x 185 x 45 cm.
— Untitled, 2004 / 2005. Technique mixte. 80 x 235 x 25 cm.
— Flag, 2003. Technique mixte. 78 x 118 x 25 cm.
— A-10, série «Jet Skin», 2004. Photographie couleur.
— Awacs II, série «Jet Skin», 2004. Photographie couleur.
— Mig, série «Jet Skin», 2003. Photographie couleur.
— Awacs I, série «Jet Skin», 2004. Photographie couleur.
— F 16, série «Jet Skin», 2004. Photographie couleur.
— Cut Here, série «Jet Skin», 2004. Photographie couleur.

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