ART | CRITIQUE

Facing. An Usual Story From a Nameless Country

PÉmilie Marsaud
@15 Oct 2008

Avec Facing. An Usual Story From a Nameless Country, l’artiste Pia Rönicke  expérimente la fiction documentaire pour retracer l’expérience du journaliste kurde Zeynel Abidin Kizilyaprak dans une prison de torture turque en 1980.

Facing — film noir et blanc de 52 min — est d’abord le fruit de la rencontre entre l’artiste Pia Rönicke et le journaliste et écrivain kurde Zeynel Abidin Kizilyaprak enfermé et interrogé pendant plusieurs mois dans une prison de torture en Turquie en 1980.
L’artiste recompose, au moyen d’une fiction et d’images d’archives commentées par Zeynel, ce moment tragique de l’histoire personnelle du journaliste tout comme de l’histoire turque.

Le 12 septembre 1980 survient un coup d’État militaire en Turquie. Une forte répression s’ensuit, les opposants politiques et religieux ainsi que  les populations kurdes récusant leur assimilation, sont cherchés, arrêtés, interrogés torturés parfois tués. Zeynel, alors journaliste kurde et marxiste, est vite repéré et incarcéré pour interrogatoire.

Le film se déroule dans la prison. Le personnage principal n’est pas Zeynel  lui-même mais Kadir, un jeune révolutionnaire, inventé par Zeynel dans une nouvelle inspirée de son expérience intitulée Knock Knock Knock. L’histoire est centrée sur le dialogue entamé entre Kadir et un vieux religieux enfermé dans la cellule d’à côté ainsi que sur les moments de solitude et de souffrance.

Les scènes de huis clos passant de la cellule de Kadir à celle du vieux religieux entraînent progressivement le spectateur dans la temporalité particulière de l’enfermement. Les marqueurs de temps n’y sont plus le jour ou le nuit, mais les tortures et les «knock knock» de l’un ou l’autre prisonnier appelant à la discussion.

Chaque scène, très travaillée, constitue presque un tableau. Malgré des  passages un peu longs, on entre vraiment en empathie avec le prisonnier. Un halot de lumière, le chant lointain d’un oiseau, le bruissement du pull enfilé, de la couverture recouvrant le corps meurtri du torturé… L’événement le plus infime de la cellule interpelle pour peu qu’il apporte soulagement ou preuve fugace de l’existence de la liberté.

Au cœur du huit clôt survient alors l’Histoire par l’insertion entre deux scènes  d’images d’archives commentées en voix off par Zeynel lui-même. Du clair obscur presque intimiste de la cellule, le spectateur est brutalement confronté à la réflexion du journaliste et aux images et chiffres crus de l’Histoire: 1, 638 millions de personnes listées, 7000 personnes condamnées à la peine de mort, 171 morts sous la torture, 937 films interdits.

Quoique abrupt, le procédé mêlant à la fiction images et films d’archives permet à Pia Rönicke de dépasser les limites du pur documentaire réaliste. En inventant avec finesse la réalité du corps prisonnier — qui n’aurait évidemment pas pu être filmée réellement —, Pia Rönicke propose une instanciation intime des données historiques.

Pia Rönicke
Facing, An Usual Story from a Nameless Country, 2008. Vidéo, film 16 mm transféré sur dvd, noir et blanc. 52 min.
Avec Zeynel Abidin Kizilyaprak

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