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Faces et profils

02 Avr - 28 Mai 2005

Une peinture de couleurs et de formes apparemment si simples mais qui demande une méthode rigoureuse. Première série: des tresses fermées régulières réalisées au pinceau, dont les traces restent apparentes. La seconde regroupe des œuvres à motifs de tresses non fermées, qu’il est possible d’imaginer se refermer. La troisième emprunte ses motifs à la technique du tricot.

Bernard Frize
Faces et profils

Bernard Frize présente à la galerie Emmanuel Perrotin trois nouvelles séries de peintures. Elles prolongent de façon spectaculaire les réflexions qui animent l’artiste depuis plus de vingt ans.

La joyeuse aisance des peintures de Bernard Frize semble défier la description. Quand vient le moment de transmettre ce qui nous arrive en les regardant, il faut trier ses impressions au risque de perdre la sensation de leur unité.

Une série présente des tresses fermées (des nœuds) à quatre brins. Ce motif se rencontre dans la littérature mathématique contemporaine (groupes de transformations de tresses et de nœuds). Pour qu’il y ait tresse, il faut une alternance réglée de passages des brins au-dessus et en dessous. Une des questions picturales qui trouve sa réponse originale chez Bernard Frize est justement celle de faire voir ce type d’alternance. Dans les publications mathématiques, c’est simple : les brins sont représentés par un trait noir continu qui devient discontinu s’il passe en dessous d’un autre brin ou de lui-même. On peut penser que les auteurs ont beaucoup joué du crayon, de la gomme et des calques pour y arriver. (De même, dans les entrelacs de Vinci ou de Dürer, la méthode suivie a été effacée.) Dans les peintures de Bernard Frize, tout est donné, rien n’est effacé. On peut suivre les passages des pinceaux au-dessus des passages précédents grâce à la trace qu’ils superposent et au mélange de matière qui s’ensuit.
Ainsi, on peut suivre le tracé d’un brin et sa fermeture en voyant le point de départ là où le pinceau est le plus chargé et le point d’arrivée là où il est le plus maigre. « On doit pouvoir suivre la moindre marque de pinceau à la trace, un peu comme un reportage ».
Ceci, pourtant, ne résout pas la question de la représentation d’un entrelacs à plusieurs brins. Si chacun d’eux était tracé successivement, il n’y aurait pas entrelacs, il n’y aurait pas tressage, il n’y aurait pas nœud. Seulement une superposition de brins. Pour rendre l’entrelacs possible, Bernard Frize reprend une technique qu’il a inventée il y a quelques années : la peinture a quatre mains. L’artiste définit pour lui-même et trois assistants l’ordre de passage de chacun, et ils l’exécutent avec leurs pinceaux au-dessus de la toile posée à plat sur des tréteaux. En contemplant les peintures produites selon ces règles, on se perd à imaginer la chorégraphie que doit constituer leur exécution.

Une autre série montre des motifs de tresses à quatre brins, mais non fermées. On pourrait les décrire comme les tresses précédentes vues de profil et non plus en surplomb. Ce sont des tresses ouvertes : on voit les bouts des brins libres sur la gauche et la droite de la toile. On peut reconstituer ce que serait leur fermeture en rejoignant par la pensée les brins laissés libres : ils se réuniraient virtuellement devant ou derrière la toile. C’est aussi une des vertus des peintures de Bernard Frize que de provoquer le spectateur à des expériences de pensée.

Les couleurs de ces deux séries sont indéfinissables. Chaque brin est tracé par des pinceaux tenus en bouquet et les couleurs qui voisinent en se mêlant légèrement ont pour détermination de ne pas être identifiables très précisément, comme elles le seraient, par exemple, dans un article de vulgarisation sur la mathématique des tresses. Si virtuose soit-elle, la peinture de Bernard Frize n’est jamais dans la démonstration. En regardant ses peintures, on a « le sentiment que tout était venu tout à coup, dans un seul geste. »

Une troisième série propose des images horizontales composées de mailles : un rang de boucles horizontales est entrelacé au rang de boucles inférieur et ainsi de suite. C’est du tricot simplifié. La complexité, ici encore, réside dans l’art de faire tenir ce maillage en peinture. Il faut que l’ordre, le tempo des passages en dessous/au-dessus soient respectés visuellement, c’est à dire, avec Bernard Frize, dans l’ordre qui préside à la fabrication elle-même. Ici les couleurs, plus vives, se transforment comme dans des fondus enchaînés.

Bernard Frize note avec ironie : « Une analyse formelle de la peinture devrait être apte à expliquer ce que l’on voit, du moins c’est ce que suppose la question qui m’est sans cesse posée : Comment c’est fait ?. » Mais la réponse à cette question ne peut rendre compte des images qui apparaissent devant nos yeux. Savoir que les motifs aux couleurs changeantes se détachent sur plusieurs couches de résine blanche encore humide, par exemple, ne nous dit rien du pouvoir d’appel visuel que les images qui apparaissent exerce sur le spectateur. Leur charme est indéfinissable.

Dans les problématiques de la peinture depuis un siècle, Bernard Frize occupe une place éminente : par la rigueur de ses méthodes et la liberté de leur mise en œuvre, il exerce le pouvoir de peindre dans des dimensions qui n’avaient jamais encore été explorées.
Texte de Eric Duyckaerts

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