ART | CRITIQUE

Face à la mer

PAlexandrine Dhainaut
@22 Déc 2010

L'art vidéographique de Marcel Dinahet repose sur un rapport sensible au monde, filmé à fleur d'eau. Accueillant les mouvements aléatoires de la mer sans perdre tout à fait le contrôle de ce qu'il capte, l'artiste nous propose d'explorer les limites de la perception et de la représentation du paysage.

Marcel Dinahet est un artiste-plongeur. La mer (et l’élément aquatique en général) et le littoral sont depuis longtemps ses terrains d’observation et de réflexion. Muni d’une caméra protégée par un caisson étanche et d’une combinaison de plongée, le vidéaste s’immerge dans les eaux de la Tamise (série «Fleuve, La Tamise») ou celles gelées de la mer russe (série «Svetlogorsk») et tient à bout de bras un outil de captation flottant non pas «contre» mais accueillant vents et marées.

Ses vidéos relèvent à la fois d’une maîtrise et d’un lâcher prise, le corps de l’artiste et la caméra se révélant autant désistants que résistants aux caprices de l’eau, à l’image des flotteurs, balises délimitant un territoire profondément instable. Dans une monographie à paraître consacrée à Marcel Dinahet, Gilles Tiberghien compare le caisson-caméra au globe oculaire baignant dans sa «ceinture lacrymale». Le terme de «ceinture» rend ici parfaitement compte de l’épreuve que nous soumet l’artiste : celle des limites. Limites physiques entre intérieur et extérieur, dehors et dedans, dessous et dessus, entre l’eau et l’air, mais aussi limites de la représentation et de la perception d’un paysage.

Le paysage est rendu partiellement invisible par la récurrence d’un entre-deux, mi-aérien, mi-aquatique; par les éléments naturels qui viennent parasiter l’image et le son (les bris de glace de la série «Svetlogorsk» obstruent le champ autant que la bande son, proche du crépitement) ; ou par les cadrages trop rapprochés (série «Falaises») qui perturbent l’appréhension de l’espace. Sans les titres contextualisant un tant soit peu les lieux, rares sont les indices qui nous raccrochent à une réalité géographique (hormis Londres, relativement reconnaissable par son architecture dans la série «Fleuve, La Tamise»). Mais l’essentiel est ailleurs : il est dans cette ligne de flottaison, hypnotique, sinusoïdale, qui segmente l’image, ligne sensible aux flux et aux vibrations des mouvements de l’eau, donnant toute sa poésie aux images.

De même que l’exposition de Mario Giacomelli à la Bnf en 2005 mettait en résonance les sillons des champs italiens en négatif vus du ciel et les visages de vieux italiens, Marcel Dinahet travaille l’analogie entre paysage et visage. Pour lui, les visages sont des paysages et inversement et que tout est une question de distance. Lorsqu’il filme en plan serré le mouvement des vagues qui viennent fouetter les falaises d’Ouessant (série «Falaises»), leurs fissures, leur aspect buriné, la teinte jaunâtre de la roche, on pense irrémédiablement à la rugosité d’une peau, aux plis et aux aspérités d’un visage. A l’inverse, les visages vieillis et mono expressifs des descendants des acteurs du film de Jean Epstein, Finis Terrae, dans la vidéo Portraits sont filmés de si près qu’ils en deviennent des paysages, avec des lignes, des reliefs, des couleurs propres à chacun des modèles. Dans les vidéos de Marcel Dinahet, peaux et pellicules (d’eau, de glace, de roche) se confondent pour former un univers poétique et sensible, autant optique que haptique.

— Marcel Dinahet, Kaliningrad, 2006. Vidéo
— Marcel Dinahet, Svetlogorsk, 2006. Vidéo
— Marcel Dinahet, Fleuve (La Tamise, Westminster), 2008. Vidéo
— Marcel Dinahet, Fleuve (La Tamise, Tate Modern), 2008. Vidéo
— Marcel Dinahet, Falaises, 2009. Vidéo
— Marcel Dinahet, Portraits, 2009. Vidéo

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