PHOTO | CRITIQUE

Fables

PRoland Cognet
@31 Mar 2008

Karen Knorr présente au Musée de la chasse et de la nature de grandes photographies couleur mises en scène et retouchées, anachroniques et énigmatiques, qui poursuivent sa réflexion critique sur la notion de culture.

Le Musée de la chasse et de la nature, qui accorde une réelle place à la création contemporaine, accueille actuellement une quinzaine de photographies de Karen Knorr. Issues de la série «Fables» commencée en 2004, ces grandes images couleur furent prises dans les intérieurs historiques de châteaux et de musées français.

Des détails soulignent l’artificialité de ces lieux patrimoniaux largement transformés pour garantir le confort du public et la sécurité des œuvres. Ainsi, dans The Music Room 1, un téléphone de service est incrusté dans les boiseries du château de Chantilly. Certaines images ayant pour cadre le Musée de la chasse et de la nature, on regrettera que la plupart ne soient pas présentées in situ, dans le parcours du musée. La salle d’exposition temporaire est en effet trop neutre pour créer un véritable effet de mise en abyme.

Ces photographies ne se contentent pas de documenter les aménagements de nos musées et monuments historiques. Elles présentent, en effet, de curieuses réunions d’animaux et de rares nus féminins.
Ces mises en scène des figures classiques de la mythologie (Diane ou Léda) et des fables d’Esope et de La Fontaine (le lièvre, la tortue, le renard, etc.) ne racontent pourtant pas d’histoires et n’ont pas de valeur allégorique ou morale. Pouvant même réunir les protagonistes de plusieurs fables, elles n’évoquent que marginalement ces récits.
Créant un hiatus entre les figures et les lieux, elles parviennent à susciter un trouble que renforcent les retouches numériques. The Green Bedroom comprend ainsi l’ombre d’un pigeon qui se situerait hors champ, entre le spectateur et l’image. Le goût de l’illusion et de la fiction emprunte alors au trompe-l’œil.

Anachroniques et énigmatiques, les mises en scènes de Karen Knorr passent souvent pour une photographie savante et référencée d’inspiration post-moderniste.
Au contraire, les œuvres exposées au Musée de la chasse et de la nature confirment que Karen Knorr ne cherche pas à reproduire des modèles et à multiplier gratuitement les citations.
Par exemple, Leda, The Purple Room ne reprend pas l’iconographie forgée à la Renaissance de l’étreinte amoureuse et souvent fougueuse de cette reine légendaire et d’un Jupiter métamorphosé en cygne. L’animal est ici plutôt indifférent au nu allongé à ses côtés.
En outre, Karen Knorr fait prendre à la femme couchée la pose du jeune Joseph Bara, héros de la Révolution française, peint par David. La citation évoque le contexte révolutionnaire et la métamorphose du jeune homme en jeune femme pose la question du genre sexuel. Le choix du référent et son détournement prennent un sens explicitement féministe.

Ainsi Karen Knorr poursuit sa réflexion critique sur la culture occidentale dont elle analyse l’élitisme et l’académisme, l’ethno- et le phallocentrisme. Quoique déjà à l’œuvre dans ses précédents travaux, la quasi disparition de l’être humain, manifestée aussi par l’adoption du point de vue de l’animal, radicalise le propos de l’artiste qui cherche désormais à réhabiliter la nature dans son opposition stricte à l’homme et à la culture.

Karen Knorr
— Leda, The Purple Room. Photographie. 122 x 152  cm
— Diane. Photographie. 122 x 152  cm
— The Green Bedroom Louis XVI. Photographie. 122 x 152  cm
— The King’s Reception. Photographie. 122 x 152  cm

AUTRES EVENEMENTS PHOTO