PHOTO | CRITIQUE

Expired

PFrançois Salmeron
@04 Déc 2012

«Expired» présente trente photographies noir et blanc parcourant les métropoles occidentales et le Moyen-Orient, au gré des pérégrinations de Ziad Antar. Apparemment documentaire, sa photographie se passionne pour du matériel «vintage», voire carrément défectueux, donnant un grain si particulier à ses œuvres.

Le projet de Ziad Antar naît en 2000 lorsque le jeune homme, alors âgé de vingt-et-un ans et assistant du photographe Hashem El Madani, découvre dans le studio Scheherazade des pellicules photo périmées («expired» en anglais) depuis 1976. Influencé par la démarche documentaire que suit son maître et qu’il pratique lui-même assidûment, notamment pour la réalisation de films, Ziad Antar pratique une photographie d’abord intime, qui va peu à peu s’ouvrir au monde. Le portrait qu’il fait de son maître, où Hachem El Madani pose dans son atelier, témoigne du lancement de Ziad Antar dans la photographie, et apparaît même comme son geste fondateur.

Du portrait intime, l’artiste passe à un style que l’on apparenterait volontiers à du documentaire. En effet, l’exposition «Expired» pose un regard original sur les réalités sociales, économiques et urbaines du Moyen Orient. Photographiant sa ville natale, Saïda, Ziad Antar ne tarde pas à élargir ses horizons. Il s’interroge sur l’identité de son pays natal, le Liban.
Des petits ports de pêche à la modernisation et à l’urbanisation ultra-moderne, le Liban connaît une extension fulgurante. La Murr Tower de Beyrouth symbolise d’ailleurs cette croissance que Ziad Antar photographie dans une impressionnante vue en contre-plongée.
Pourtant, on sait que la tour de 140 mètres amorcée en 1974 n’a jamais été achevée à cause de la guerre civile. Dès lors, plutôt que de représenter l’ascension d’un pays, cette tour inachevée, qui finira par servir de base de tirs, apparaît comme un mémorial de la guerre.

Ziad Antar voyage par la suite au Caire, à Dubaï ou La Mecque, notamment pour accomplir la série Portrait of a Territory, qui relate son road trip dans les pays des émirats. Ses pérégrinations s’achèvent en Arabie Saoudite, pays d’origine de Hachem El Madani, et «cœur névralgique» du monde arabe.

C’est en effet là où Ziad Antar termine sa dernière pellicule périmée. Car c’est bien cette particularité qui, d’un point de vue esthétique, démarque ses photos d’une simple démarche documentaire. Celles-ci s’ancrent bien dans des réalités contemporaines, en les interrogeant à partir de matériel ancien ou détérioré, notamment à partir d’un appareil Kodak Reflex datant de 1948. Avec les pellicules périmées, les tirages se trouvent tachetés. Et les contours des silhouettes ou des bâtiments sont souvent flous et imprécis. Par là, cela peut parfois conférer aux photos de Ziad Antar une connotation pictorialiste, romantique ou onirique, comme si l’on avait affaire à de vieilles cartes postales ou à des prises de vue datant du début du XXe siècle. Aussi, des stries verticales traversent les clichés, et tous les défauts inhérents à une pellicule périmée composent dans les ciels photographiés des sortes de pluies d’étoiles ou de faisceaux lumineux.

Narguilés, cactus, vendeurs de chaussures en pleine rue et mosquées, apparaissent finalement comme des symboles forts connectant directement notre imaginaire aux représentations que nous avons du Moyen-Orient. L’œuvre de Ziad Antar interroge alors nos préjugés et les clichés que nous avons sur les autres civilisations.
Mais ses photographies s’attardent également sur les mégapoles occidentales. Big Ben et la statue de Winston Churchill à Londres, les rues et les immeubles de New York. De même, Paris est vue depuis ce qui semblerait être le regard naïf d’un touriste: une vue sur la Seine et ses quais, avec des péniches accostées, le musée d’Orsay visible, ainsi que Notre Dame au loin.

En fait, ces photographies seront taxées de «clichées» en fonction de l’origine du spectateur: pour un Occidental, les vues de Paris, Londres ou New York pourront paraître banales, tandis que les vues du Liban ou de la Mecque sembleront plus originales. Tout est une question de point de vue finalement.

Å’uvres
—Ziad Antar, Pont métal, Egypte, 2005. Tirage argentique. 125 x 125 cm
— Ziad Antar, La Mecque, 2012. Tirage argentique. 125 x 125 cm
— Ziad Antar, La roue de Londres, 2012. Tirage argentique. 125 x 125 cm
— Ziad Antar, Burj Khalifa II, 2010. Tirage argentique. 125 x 125 cm
— Ziad Antar, 15th May Bridge, Cairo, 2005. Tirage argentique. 125 x 125 cm
— Ziad Antar, La Tour Eiffel, 2011. Tirage argentique. 125 x 125 cm

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