PHOTO | CRITIQUE

Euro Visions

PMuriel Denet
@12 Jan 2008

Magnum s’expose à Beaubourg. Le photoreporter, autrefois témoin, semble désormais considérer le monde comme un chaos à ordonner, ou, c’est un risque, un matériau à façonner. Il est ici question de la place et du statut incertains du photoreportage dans le monde d’aujourd’hui.

Magnum s’expose à Beaubourg. Sur le modèle des missions qui ont jalonné l’histoire de la photographie, la mythique coopérative de photoreportage s’est passé commande : dix de ses membres sont partis à la découverte de chacun des dix pays nouvellement entrés dans la Communauté européenne.

Assumant une subjectivité déclarée —et la diversité des approches en témoigne— chacun a abordé son territoire en y projetant ses «propres questionnements ou obsessions».
Le style Magnum en est tout bouleversé. Le culte de la proximité, de l’instant décisif, et du noir et blanc, qui concentre le regard sur l’événement, s’efface devant les couleurs crues du réel, la distanciation du regard, et les temps morts. Sorti du livre ou du magazine pour s’exposer, le photoreportage ne s’aligne plus sagement aux cimaises des galeries, il se scénographie dans des installations plus ou moins interactives.

Perpétuant la tradition photojournalistique, certaines allient le texte, la parole, le son, à l’image, pour restituer au territoire une épaisseur temporelle et biographique (Patrick Zachmann, Martine Franck). D’autres au contraire, plus métaphoriques, voire théâtrales, s’en éloignent jusqu’à son effacement (Lise Sarfati, Alex Majoli). À l’évidence, les formes en œuvre empruntent à l’art, du concept d’approche, jusqu’aux modalités de monstration.

Les paysages évanescents de Mark Power évoquent la froide objectivité de l’école de Düsseldorf.
Les portraits saisis dans la rue par Donovan Wylie, ou Carl de Keyser, renvoient à ceux de DiCorcia ou Beat Streuli. En capturant des passants sur les trottoirs estoniens, selon une modalité frontale répétée à l’identique, Wilye imagine le défilé des modes ordinaires qui combinent le rétro désuet de l’ère soviétique au clinquant de nos sociétés de consommation.

Le long de la Ligne verte, zone vide de présence humaine qui partitionne l’île chypriote, Peter Marlow ponctue sa déambulation de relevés d’indices, dans un format carré dont la neutralité met en exergue l’absurdité et l’obsolescence d’une telle situation.

Chris Steele-Perkins court, quant à lui, après l’événement ordinaire, toutes ces occasions de rassemblement et d’exhibition collective, que sont les mariages, les rituels de chasse, les soirées dansantes, ou, tout simplement, la rue. S’organise un feuilleté en plusieurs fascicules qui entrecroise des tranches de vie hautes en couleur. La série permet de contextualiser. Ni choc, ni sur–signifiante, la photographie documentaire tourne le dos à l’esthétique spectaculaire de la photographie de presse. Comme si la boucle se refermait : désormais le «style documentaire», ses protocoles, son objectivité clinique, et sa propension compulsive, font retour dans le documentaire même. Une image paradoxale se profile, celle de pays en friche, ou en déconfiture, mais déjà gagné par l’homogénéisation des comportements, et des signes, venus de l’occident consumériste.
Le style de Martin Parr, appliqué à la côte slovène, fait merveille, et transforme cette Riviera à venir en temple du tourisme et de la consommation kitsch.

Le photoreporter, autrefois témoin des événements, rapporteur des lumières lointaines, semble aujourd’hui considérer le monde comme un chaos à ordonner, ou, et c’est un risque, un matériau à façonner.
Dans le livre d’or de l’exposition, une visiteuse lettonne écrit, à l’adresse d’Alex Majoli : «Ce pays est le vôtre, pas le mien». Il est vrai que le triptyque sombre du photographe italien, sorte de peinture mystique d’un pays crucifié par son passé soviétique et le froid éternel qui le glace, semble plus renvoyer aux inquiétudes du photographe qu’à un pays réel. Là apparaissent les limites et les ambiguïtés de l’entreprise. Si les formes adoptées par les photographes de l’agence Magnum empruntent à l’art, le résultat, lui, est censé encore témoigner d’une réalité concrète, et territorialisée.

Ce déploiement presque frénétique de dispositifs et de formes incite d’ailleurs à se demander si le véritable objet de cette exposition, qui, par ailleurs apporte des éclairages intéressants sur les pays concernés, n’est pas la place et le statut incertains du photoreportage dans ce monde de l’information en flux tendu, qui n’est plus le sien.

Carl De Keyzer — Malte, 2005. 14 épreuves couleur chromogène. 82,5 x 110 cm. 60 photographies projetées sur trois écrans.

Martine Franck — République tchèque, 2004. Projection de tirages noir et blanc. Durée 17mn.

Alex Majoli — Lettonie, 2004. Projection multi-écrans. Durée 7mn.

Peter Marlow — Chypre, 2004. 152 tirages couleur chromogène. 50 x 50 cm.

Martin Parr — Slovénie, 2004. 15 tirages couleur chromogène. 6 tirages 105 x 160 cm, 2 tirages 100 x 130 cm, 7 tirages 50 x 76 cm.

Mark Power — Pologne, 2004. 15 tirages couleur sous diasec. 4 tirages 132 x 104 cm, 11 tirages 104 x 132 cm.

Lise Sarfati — Lituanie, 2004. Projection de diapositives couleur, son.

Chris Steele-Perkins — Slovaquie, 2004. 14 livres. 30 x 30 cm. 14 tirages couleur chromogène. 24 x 36 cm.

Donovan Wylie — Estonie, 2004. 40 tirages couleur chromogène. 53 x 41 cm.

Patrick Zachmann — Hongrie, 2004. Installation. 43 tirages couleur et noir et blanc, dispositif sonore. Dimensions variables.

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