PHOTO | CRITIQUE

Etonnez-moi!

PFrançois Salmeron
@17 Nov 2015

Philippe Halsman est l’un des photographes les plus médiatisés de son époque. Portraitiste de stars, il travaille également pour la presse, la mode ou la pub. Il met surtout au point une imagerie simple et percutante qui accroche l’œil du spectateur, et vise à révéler l’essence de ses modèles à travers quelques principes efficaces de mise en scène, dans Etonnez-moi!.

On connaît tous les fameux sauts déjantés, pétillants, pétris d’humour, que Philippe Halsman faisaient réaliser à ses modèles, acteurs ou stars d’Hollywood, hommes politiques ou personnalités médiatiques. La fantaisie, la gaité et la bonne humeur, l’insouciance même, semblent ainsi propres à son œuvre, à son caractère. Pourtant, la vie de Philippe Halsman est marquée par plusieurs épisodes tragiques, dont le décès accidentel de son père lors d’une randonnée en 1928, alors que Philippe Halsman a 23 ans et se trouve accusé à tort, dans une Lettonie antisémite, de l’avoir tué.

Soutenu par le ministre français Paul Painlevé, Philippe Halsman atterrit à Paris en 1931 et se lie d’amitié avec son fils, Jean, dont on connait aujourd’hui les célèbres films sur la vie aquatique. Jean Painlevé prend Philippe Halsman sous son aile, lui offre un appareil photo, et le présente à la galerie de la Pléiade qui expose les avant-gardes photographiques (Man Ray, André Kertesz, Brassaï, etc.). Egalement appuyé par André Gide, Philippe Halsman se fait vite un nom en tant que portraitiste et photographie la scène artistique et intellectuelle française.

Philippe Halsman définit vite son style de portraitiste: un cadrage serré, des effets d’éclairage pour créer des contrastes forts et des jeux d’ombres sur les visages, une recherche effrénée d’expression dans les traits de ses modèles, inspirée d’ailleurs par l’expressionnisme allemand alors en vogue. Influencé par la Nouvelle Vision ou le surréalisme (on découvre parfois des montages ou des effets de solarisation chers au maître Man Ray), Philippe Halsman déclare vouloir avant tout «saisir l’essence même» de son sujet.

Ainsi, il s’agirait pour le portraitiste d’être capable de faire émerger la véritable personnalité, parfois cachée ou enfouie, de son modèle, de la capter, de la révéler, de la retranscrire fidèlement sur le tirage photographique. Par là, Philippe Halsman prête un pouvoir extraordinairement fort à la photographie: être capable de nous livre la véritable personnalité du modèle, de dégager son essence.

Pourtant, derrière cette conception idéaliste ou essentialiste de la photo, Philippe Halsman se révèle plus prosaïque: «L’idéal serait de créer une image qui entrerait dans l’histoire de façon que si la postérité se rappelle un grand homme elle le verrait dans une image créée par mon appareil et ma vision.» Son but: créer une image archétypale à fort potentiel médiatique. Car dans la profusion naissante de l’iconographie de presse et des magazines, si l’on doit bien retenir un seul portrait d’une personnalité, ce sera le sien.

Son œuvre obéit donc à un idéal de diffusion massive, de promotion de ses propres images. L’image est faite pour être montrée, gagner un maximum de visibilité, accrocher et séduire le regard du spectateur qui feuillette les journaux, les magazines. Philippe Halsman met d’ailleurs en place toute une stratégie visuelle, tout un vocabulaire visant à faire assurer un maximum d’efficacité à ses photos. Sa hantise: voir le lecteur décrocher, ne pas capter son attention, ne pas émerger de la banalité des images qui nous entourent.

Philippe Halsman travaille effectivement pour Vu, Vogue, Harper’s Bazar et devient dès les années 1930 un nom incontournable de la photo de presse, de mode, de publicité. Il est surtout le photographe des stars, leur interlocuteur privilégié lorsqu’il s’agit de réaliser leur portrait. Suite à son départ vers New York en 1939, à cause de la Seconde Guerre mondiale, Philippe Halsman étend encore sa notoriété. Il réalise notamment 101 couvertures pour le magazine Life (premier magazine illustré par la photo, créé en 1936, et diffusé à huit millions d’exemplaires). Un record! Audrey Hepburn, Clint Eastwood, Dean Martin et Jerry Lewis, Andy Warhol, Muhammad Ali, Albert Einstein, Winston Churchill… Tout le gotha du cinéma, du showbiz, du sport et de la politique passe devant son appareil!

Ainsi, la Jumpology réunit tous les ingrédients chers à Philippe Halsman: une photo simple, percutante, et visuellement forte qui pénètre l’inconscient collectif et se grave facilement dans l’esprit des spectateurs, de l’humour et de la vivacité, des stars à foison qui se découvrent. Car cette série obéit à nouveau à cet idéal essentialiste de Philippe Halsman.

Il considère en effet qu’en bondissant et en répétant ce geste, le modèle peu à peu s’oublie, se relâche, et dévoile finalement sa vraie personnalité, «tombe le masque» d’après les dires du photographe. Le saut agit donc comme un révélateur. Philippe Halsman explique également que la gestuelle qu’il capture sert à décrypter la psychologie de son modèle: la posture des pieds, des jambes ou des bras trahit des traits de caractère. La Jumpology fonctionnerait alors comme une traduction physique du psychologique, une extériorisation inconsciente de notre caractère.

Parmi les modèles cultes de Philippe Halsman, impossible d’oublier Marilyn Monroe, qu’il découvre pour un reportage commandé par Life en 1949, et qu’il photographie encore à plusieurs reprises, avec des photos de sex-symbol en 1954, puis une séance de Jumpology de 200 sauts en 1959. Salvador Dali, quant à lui, est son collaborateur privilégié pendant près de 40 ans. Ensemble, ils réalisent plus de 500 images au cours d’une cinquantaine de séances. Les deux artistes à l’humour fantasque se situent sur la même longueur d’onde et multiplient les mises en scène déjantées.

A cet égard, Dali Atomicus est un régal. Le peintre espagnol bondit au milieu de chats balancés en l’air et de jets d’eau. On jubile! La série Dali’s Mustache est également l’une des plus représentatives du travail de Philippe Halsman et de son goût pour l’expérimentation héritée du surréalisme et du maître Man Ray, comme nous l’annoncions: déformations, collages, truquages, effets de solarisation sont au programme. Avec cette volonté inébranlable chez Philippe Halsman de vouloir toujours mettre à jour l’âme de son modèle derrière ces expérimentations: «Dali’s Mustache a été d’un bout à l’autre un exercice d’imagination. (…) Le public est ébahi par cet appendice pileux et ne remarque plus le vrai Dali derrière. C’est le symbole du drame de Dali: derrière son excentricité, ses détracteurs ne voient pas l’homme et son œuvre.»

Å’uvres

— Philippe Halsman, Fernandel, «Quelles sont les mesures prises par le gouvernement français pour accroître le taux de naissance?», The Frenchman, 1948. Photo argentique nb.
— Yvonne Halsman, Marilyn Monroe et Philippe Halsman, 1959. Photo argentique nb.
— Philippe Halsman, Dali Atomicus, 1948. Photo argentique nb.
— Philippe Halsman, Dean Martin et Jerry Lewis, 1951. Photo argentique nb.
— Philippe Halsman, Jean Cocteau, l’artiste multidisciplinaire, 1949. Photo argentique nb.

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