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Éternelle Idole

Éternelle Idole relève de l’art minimal, du collage et de la manipulation pure et simple — n’oublions pas que Gisèle Vienne est, au départ et à l’arrivée, marionnettiste. Il ne s’agit pas du tout pour elle d’injecter un peu d’art dans un monde de sportifs, comme le fit dans les années 90 la chorégraphe classique Natacha Dabbadie lorsqu’elle travailla avec Philippe Candeloro — événement auquel nous assistâmes lors d’un gala au POPB de Bercy où se révéla et se rebella également Surya Bonaly dans des saltos arrière pas très orthodoxes. N’était-ce pas ce qu’avait entrepris dès le départ, dès les années vingt, la pionnière, la reine du patin, triple championne olympique et star du ciné, Sonja Henie, lorsqu’elle introduisit dans sa discipline puritaine des mouvements de danse et une jupe courte tout ce qu’il y a de sexy?

La patineuse, objet de fantasme s’il en est, pour hommes comme pour femmes (le public du patinage artistique est majoritairement féminin), ressemble en effet à une poupée mécanique, capable de gestes inouïs, de dislocations, de désarticulations, d’accélérations, d’enchaînements de sauts en tous sens — sauts de valse, de carre, axels, boucles, rittbergers, salchows, piqués, lutz, cherry flips —, pirouettes, arabesques et autres spirales. Comme la geisha, elle apporte un soin extrême à la coiffure, à la parure, au maquillage. Le goût petit-bourgeois qui s’exprime depuis un demi-siècle sur le plan chorégraphique comme sur celui de l’illustration musicale a dévalué un art centenaire, l’a rendu désuet et a fini par le… patiner.

Pas si évident que cela d’échapper au kitsch, ni de flirter avec l’avant-garde — des patineurs l’ont tenté à leurs dépens. Afin de fêter à sa façon le Sacre du printemps, Gisèle Vienne a donc donné une série de représentations d’Éternelle Idole en forçant le public à affronter les intempéries. Le show a été livré à la patinoire d’Asnières — là où nous fîmes nos premiers pas dans l’art de la glisse, aux côtés de Pierre Juhasz et de Marie-Christine Guillaume —, dans cette petite commune des bords de Seine immortalisée par les impressionnistes (cf. Une baignade à Asnières de Seurat).

Nous ne demandions pas grand chose, simplement à être épaté. En fin de compte, peu d’éléments ou d’aliments à se mettre sous la dent : quelques actions piochées dans la panoplie des sports de glace, un fil conducteur des plus ténus (on est dans le narratif, dans le théâtreux, dans le ténébreux), une bande-son planante à base de stridences, d’accords et de désaccords synthétiques plaqués vite fait bien fait, de larsens et d’infra basses en veux-tu en voilà, à commencer par le vrombissement déconcertant d’une surfaceuse de patinoire conduite par un capucin «new age».

Et, plus souvent qu’à son tour, au milieu des gaz pas vraiment hilarants, destinés plutôt à enfumer le public, l’excursion d’une onzaine de fillettes en blazer, emperruquées comme des nonnettes, strictement vêtues comme des écolières anglaises ou nippones, un semblant de match de hockey à quatre, une pompounette girl ou meneuse de claque esseulée gesticulant en silence au fin fond de la tribune d’en face, un abominable homme des neiges, loup-garou ou zombie rôdant par là, à tout hasard, tout droit sorti de sa soucoupe volante, une série de valses-hésitations, guindées et funèbres, un finale pianoté assez lyrique — le lac gelé des cygnes de notre Gisèle romantique tuée à la tâche…

Au lieu de renouveler la technique de la glisse, de proposer des pas inédits, de nouveaux enchaînements, de réclamer de la virtuosité à son interprète, Miss Vienne se contente de lui demander de patiner avec grâce, ce qui est le minimum, ce qu’exigeait déjà l’un des plus anciens traités consacrés à ce sport, celui de Jean Garcin, Le Vrai Patineur ou les Principes de patiner avec grâce (1813). Et il faut bien reconnaître que, si l’on n’a pas eu droit à des sauts spectaculaires de toute la soirée (excepté un, en grand écart), on a eu de beaux moments de glace, de classe et de grâce.

— Conception, chorégraphie et scénographie: Gisèle Vienne
— Interprété et créé en collaboration avec Aurore Ponomarenko et Jonathan Capdevielle
— Lumières: Patrick Riou
— Direction musicale et musique originale: Stephen O’Malley créée en collaboration avec, et interprété par Stephen O’Malley, Steve Moore, Daniel O’Sullivan, Peter Rehberg, Jesse Sykes, Bill Herzog, Randall Dunn et Gisèle Vienne
— Conseiller Patinage: Stanick Jeannette