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Etendues glaciales

PRaphaël Brunel
@12 Jan 2008

Avec un regard d’ethnologue, Jorma Puranen nous propose une réflexion sur les paysages septentrionaux. Sur l’histoire, les représentations, les mythes et les hommes qui les façonnèrent. Entre récits de voyages, histoire de l’art et onirisme.

Jorma Puranen ne cherche pas l’image définitive, celle qui dépassera toutes les autres et se suffira à elle-même. Son travail photographique se situe dans un entre-deux, dans une sorte d’instabilité. Mais instabilité ne signifie pas nécessairement hasard, tâtonnement ou absence de conceptualisation. Dans le cas de Jorma Puranen, le travail en amont est essentiel et détermine la réalisation de ses photographies.
Ses investigations préparatoires reposent sur une approche pluridisciplinaire qui allie de nombreuses sources documentaires telles que des photographies anthropologiques ou scientifiques, des cartes géographiques, des tableaux historiques ou des récits. La première étape du travail de Jorma Puranen est donc celle d’un archiviste, d’un chercheur méthodique.

Les photographies présentées à l’Institut finlandais découlent de cette logique et composent deux séries étroitement liées, «Etendues glaciales» et «Voyages sur toile». Le photographe s’est, cette fois, intéressé aux récits d’explorations des régions arctiques et aux représentations historiques et picturales qui lui sont associées. Ainsi «Voyages sur toile» retrace le périple des pionniers qui sondèrent le Grand Nord au XIXe siècle. Mais plutôt que de passer par le biais de la reconstitution, de la mise en scène ou de la figure allégorique, Jorma Puranen photographie des tableaux existants qui relatent des scènes de vie de ces groupes d’aventuriers, comme une réunion ou un repas organisé autour d’un feu, que l’on imagine volontiers indispensable et salvateur. Les photographies recouvrent l’apparence et les qualités esthétiques des œuvres originales, larges palettes sombres éclairées sporadiquement par la présence d’un feu ou de la pâle lueur polaire, et deviennent ainsi des représentations de représentations. Cette mise en abîme laisse apparaître les stigmates et la structure des peintures, le craquellement de la matière sur la toile.

L’effet de texture de ces photographies fait écho à celui de la série «Etendues glaciales», également exposée à l’Institut finlandais, qui représente, frontalement, une surface glacée sur laquelle se reflète un paysage polaire. Il en résulte des paysages étranges, désagencés, déformés par la glace, une nouvelle proposition topographique.
Jorma Puranen questionne la notion de territoire, autant sur son caractère anthropologique qu’onirique. Cependant, le parti pris du photographe n’est pas documentaire et ne cherche pas à produire une image lisible et informative, mais, au contraire, à placer un élément perturbateur entre le spectateur et son objet d’étude. Ainsi, le paysage photographié est inaccessible au visiteur par un regard direct, parasité par le bloc de glace. Jorma Puranen met en exergue la difficulté de l’accessibilité aux informations, la complexité du regard.

La glace semble refléter l’image mythologique de l’Hyperborée, ce pays merveilleux et prospère, parfois associé à l’Atlantide, qui se situerait au-delà des vents polaires. L’étrangeté des images est d’ordre esthétique et sous-tend des paysages inconnus et dangereux traversés par une expédition égarée. Les photographies de Jorma Puranen sont visuellement riches, douces et bien sûr romantiques puisque s’y mêlent l’intérêt pour les lieux de solitude de Gaspard David Friedrich, le traitement dynamique et dilué des paysages de William Turner et la fascination pour le voyage de Chateaubriand.

Les photographies de Jorma Puranen ne tentent pas d’imiter la peinture, mais les références picturales invoquées ici ont pour fonction d’inscrire le travail de l’artiste finlandais dans une histoire des représentations, dans une tradition. En faisant dialoguer les époques, les disciplines et les médiums, Jorma Puranen élargit les horizons de sa pratique, multiplie les champs d’actions et les possibilités de lectures, propose des détours plutôt que des solutions.
Ainsi, les clichés de Jorma Puranen nous offrent une réflexion sur un territoire, sur son histoire, ses représentations, ses mythes et sur les hommes qui le façonnèrent, sans toutefois dresser une carte topographique réaliste et irréfutable.

Jorma Puranen
— Etendues glaciales # 1, 2005. C-print, Diasec, 186 x 151 cm.
— Etendues glaciales # 2, 2005. C-print, Diasec, 186 x 151 cm.
— Etendues glaciales # 4, 2005. C-print, Diasec, 186 x 151 cm.
— Etendues glaciales # 5, 2005. C-print, Diasec, 186 x 151 cm.
— Etendues glaciales # 10, 2005. C-print, Diasec, 160 x 198 cm.
— Etendues glaciales # 21, 2005. C-print, Diasec, 160 x 198 cm.
— Voyage sur toile # 1), 2003. C-print, Diasec, 74,5 x 96,5 cm.
— Voyage sur toile # 3), 2003. C-print, Diasec, 74,5 x 96,5 cm.

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