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Et la fatigue… Et la passion…

PAnne Malherbe
@12 Jan 2008

«Et la fatigue… et la passion…»: un titre adéquat pour l’exposition de Stéphane Calais installée dans un lieu, Point Éphémère, qui se définit lui-même comme Centre de dynamiques artistiques.

Le titre, «Et la fatigue… et la passion…», désigne ce moment où, à l’extrême limite de ses forces, le corps puise dans ses réserves une énergie qui surgit alors décuplée. C’est un titre fort adéquat pour une exposition installée dans un lieu qui se définit lui-même comme Centre de dynamiques artistiques.

Point Ephémère, ouvert depuis octobre 2004, est le dernier port d’attache de l’association nomade Usines éphémères, montée en 1987, dont la vocation d’origine est de mettre à la disposition d’artistes plasticiens (moyennant une sélection sur dossier) des ateliers à moindre frais. Point Ephémère a distribué ses 1400 m2 —une partie des anciens docks installés quai de Valmy— entre quatre ateliers d’artistes plasticiens en résidence pendant six mois, des studios de répétition pour des compagnies de danse invitées temporairement, un bar-restaurant, une salle de concert (avec studios de répétition) et un espace d’exposition. Ici, les arts se croisent, voire se mêlent, en tout cas évoluent au gré d’une programmation variée et rapide.

Comme les locaux qui l’hébergent, à la fois bruts, rudes et accueillants, la proposition de Stéphane Calais est ouverte, tout en préservant l’intimité qui fait d’elle un univers à part. Une wall-painting en carreaux d’arlequin habille aux deux tiers la hauteur des baies vitrées qui donnent sur le canal Saint-Martin. Depuis l’extérieur, on devine l’existence d’une zone particulière, dans laquelle cependant le regard ne peut pénétrer. D’autres carreaux assemblés en rideau séparent, sans l’isoler totalement, l’espace d’exposition du bar-restaurant.
Le motif d’arlequin est à connotations multiples. Parce qu’Arlequin est un personnage de la Commedia dell’Arte, il rappelle qu’une histoire est ici racontée, une trame sur laquelle le visiteur greffe aussi sa propre imagination ; cette histoire est non seulement à déchiffrer mais aussi à vivre. La fantaisie du personnage, les couleurs chatoyantes de son vêtement activent le réenchantement de l’endroit. Mais Arlequin est aussi une figure instable: de fait, l’exposition n’est pas dépourvue d’ombres.

Sur l’affiche, le peintre et sa famille ont été représentés par le dessinateur Floc’h: ce sont les habitants invisibles du lieu, lieu à la fois resserré et chaleureux, agité et inquiétant. Au centre trône un chien doré de restaurant chinois que l’artiste a couvert d’oiseaux exotiques à l’aérographe qui, en en accroissant le kitch, le dématérialisent.
Est-ce à lui qu’est destiné le Rire du sergent, onomatopée qui éclate bruyamment sur le mur où elle est peinte? Autour, de petits tableaux montrent des vanités dérisoires, têtes de mort cigarette au bec, mégots dont la fumée est désagréablement envahissante.

Sur la mezzanine, des pans de moquettes de couleurs différentes se recouvrent, abolissant les angles des murs. Des lampes de sel ajoutent à l’ambiance tamisée. Mais les morceaux qui ont été retirés de la moquette ménagent des ouvertures sur les couches inférieures, rappelant que le sens n’est jamais univoque, que sous la chaleur du lieu une violence est latente.

L’effacement des frontières et les recouvrements de significations, qui nous font glisser d’une œuvre à l’autre et que provoque potentiellement chaque œuvre, dans une permanente instabilité, c’est ce qu’amplifie l’environnement sonore répandu dans l’espace. Une fiction de Stéphane Calais racontée par Frédéric Mitterrand puis par l’artiste, ainsi qu’une musique de Mathieu Baillot créée pour l’occasion distillent solitude, agressivité, arrêt, incertitude.
L’irréalité dans laquelle baigne l’ensemble de l’installation permet de sentir plus vivement les angles aigus de la vie.

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