ART | EXPO

Esquives

08 Déc - 20 Jan 2008
Vernissage le 07 Déc 2007

Au travers d’une série photographique et d’un roman, Mireille Loup met en place, entre paysage réel et construction mentale, un ensemble de réflexion sur la victimologie de l’enfance.

Esquives

Les photographies et les vidéos de Mireille Loup possèdent une trame narrative forte. En effet, l’artiste a toujours travaillé le texte sous forme de livres d’artiste ou d’incorporation d’éléments textuels dans ses images, mais aujourd’hui cet élément majeur devient le fondement même de son travail.

Dans Une Femme de Trente ans (2000-2003) son œuvre se présentait sous une forme éclatée comprenant une nouvelle littéraire, une série de 170 photographies et une vidéo. L’ensemble rassemblait les éléments complémentaires d’un mystère à résoudre. Parallèlement l’exposition de ce corpus peut prendre diverses formes : une frise photographique accompagnée d’une bande sonore, un diaporama ou un site Internet.

Aujourd’hui, on retrouve encore l’univers littéraire de l’artiste au travers de la naissance d’une héroïne, Emilie, représentée à la fois dans la série photographique et dans son roman intitulés Esquives. Il ne s’agit pourtant pas d’une installation, mais d’un ensemble de réflexion sur la victimologie de l’enfance au travers de deux supports bien distincts. Chacune des parties gagne en autonomie artistique et exprime une possibilité d’interprétation d’une thématique centrale.
Dans le roman, c’est une femme adulte à la vie compliquée qu’on voit évoluer au travers d’une histoire d’amour difficile et du regard analytique que lui porte son amant tandis que, dans la série photographique, c’est l’univers mental d’une petite fille qui est mis en scène à travers des « mises en paysage ». En effet, le paysage, élément majeur dans cette série, exerce une prédominance symbolique. Il entoure, voire soumet, la petite « figurine », fragile élément noyé dans l’immensité. On remarque que l’artiste fait pour une fois usage du grand format (120 x 120 cm), ce qui renforce l’effet dramatique de ces éléments paysagers monumentaux.
Par la place importante que l’artiste consacre au paysage, le spectateur pourrait croire à une volonté « documentaire » de donner à voir le réel qui nous entoure mais c’est tout au contraire une réalité très particulière à laquelle la photographe renvoie. Ses compositions sont liées à une perception fantasmagorique confinant au jardin secret et sous-tendent des situations d’isolement ou d’enfermement. L’enfant est ainsi souvent mise dans des situations de danger, enserrée au milieu de la mer par des roches, en butée à une montagne ou à une falaise, perdue dans un champ en feu, ou encore retranchée en position fœtale dans une eau quasi amniotique.

Cependant si certaines images véhiculent une iconicité parfois pesante, l’ensemble fonctionne également comme une ode à la liberté et laisse envisager une échappée. La fillette semble se libérer de l’emprise du monde par ses fantasmes et retrouver dans l’espace de son jardin secret son identité indestructible. De même, la beauté et les couleurs des paysages renvoient à une certaine pureté de l’enfance accentuée par la plasticité du modèle : un joli petit ange blond. On pourrait croire, peut-être un peu trop, à la force mentale de cette petite nymphe au regard étrange dans un vaste champ de bruyère en fleur. On la ressent curieusement invincible quand on la regarde rire aux éclats, même si elle est pieds nus au milieu des feux « follets » d’un champ transformé en brasier. On partage sa solitude, quand elle erre dans les montagnes salines ou qu’elle cache son visage face au monde, mais on voudrait se rapprocher de l’univers d’Alice aux pays des merveilles quand elle saute en robe blanche sur les beaux et blancs rochers aux bords de l’eau toute bleue.

Les situations semblent d’autant plus ambiguës que le soin apporté par l’artiste dans la composition numérique et la manière dont elle peut faire ressortir un point de l’image ou une couleur renforcent l’étrangeté des compositions. On pense encore à Lewis Carroll en observant ce mélange d’éléments de l’imaginaire et de réalité. De même, pour le rapport du corps et du paysage car, comme Alice qui rapetisse ou grandit, Emilie n’est pas en rapport d’échelle avec le paysage.
On l’aura compris, cette ambiguïté peut entraîner le spectateur dans le souvenir d’une innocence enfantine alors même que les terreurs auxquelles l’enfant se confronte sont latentes. A la première lecture de ses images, on pourrait croire naïvement à la tranquillité de la fillette, à des jeux naturels, car n’est-ce pas ce qui se passe en général? Mais ne sommes-nous pas plutôt confrontés ici au-dessous du réel et à notre incapacité à percevoir certaines situations pour ce qu’elles sont ?
L’artiste joue ainsi de l’image comme une composition allégorique entre paysage réel et construction mentale, entre symbolique et introspection.

 

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