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Ernesto Neto

PLaurent Perbos
@12 Jan 2008

Ernesto Neto invente des lieux d’introspections par la mise en place d’espaces anthropomorphes. Placés au centre d’une architecture redessinée, nous devenons acteurs et spectateurs d’un instant plastique en train de se construire.

C’est par une mise en abîme de l’architecture du lieu et du corps qu’Ernesto Neto a choisi d’investir la galerie Yvon Lambert pour sa deuxième exposition personnelle. « There Is Nothing Else to Be Seen, but the World » nous met en relation avec des installations à vivre de l’intérieur et nous offre un voyage dans les interstices de lieux redéfinis.

L’espace de la première salle est modifié pour accueillir l’œuvre à parcourir. La paroi centrale a disparu. Lisière fantomatique, limite devenue textile. Deux nouvelles pièces sont alors déterminées. Elles laissent filtrer leurs lumières diaphanes, rose et verte, à travers les tentures qui leur servent de murs.

On longe, on contourne, on cherche l’entrée, attiré par les rires et les dialogues qui s’échappent de ces caissons fragiles et clos. Une fois à l’intérieur nos sens sont immédiatement sollicités. Pieds nus, sur un sol meuble, nous sommes invités à fouiller d’une main indiscrète et méfiante des cavités opérées dans des blocs de mousse. Différents épices diffusent leurs parfums au fur et à mesure de l’exploration.

On attend patiemment et avec intérêt qu’un autre visiteur fasse le premier pas. On s’interroge sur le fruit de la découverte et on poursuit les investigations. Mais le regard est attiré vers le fond. D’étranges « bourses » suspendues à différentes hauteurs sont abandonnées là dans un équilibre incertain. D’autres jonchent le sol, libérées des élastiques qui les mettaient en tension. Jeux d’apesanteur : l’artiste leste l’espace, le rend plus présent, palpable.

L’ouïe semble moins mise en exergue que les autres sens. Et pourtant, à bien écouter Ernesto Neto, elle opère plus implicitement: « Si on raisonne avec des formes, les sons deviennent formes », dit-il. Des onomatopées, « pouf », « splatch », « boom », se matérialisent dans ces environnements. La chute d’un des sacs trouve un écho lointain dans notre esprit. On imagine le son perçu en notre absence. Ces bruits inaudibles rythment le voyage organique proposé par l’artiste et se répondent dans toute la galerie.

Ces traces auditives renvoient aux marques laissées sur le mur de la pièce suivante. Elles nous convient elles aussi à une appropriation personnelle de l’endroit. On tire sur un fil. On exerce à notre tour une tension. Il faut prendre possession du tampon encreur pour « emprunter » l’espace. Les mains pressent le support tout comme elles malaxent les petites billes plastiques placées au centre de la salle dans le module rond sur lequel on se repose et on se penche. Étrange chaleur contenue dans ce réceptacle. La répétition du geste, visiteur après visiteur, diffuse l’énergie de chacun d’entre eux au cœur même du dispositif.
Point de contact, interaction de deux corps : l’homme et l’architecture se rencontrent à travers cet intervalle, cette membrane immatérielle. Cette peau recouvre l’ossature et la chair invisible d’un ensemble nouvellement crée. L’artiste invente des lieux d’introspections par la mise en place d’espaces anthropomorphes.

La dernière salle laisse se déployer une sorte d’araignée géante aux toiles translucides et colorées. Repos, intimité, silence : un tas d’épices au centre de cet abri indique la circularité à suivre. Présente à chaque instant dans l’exposition elle renvoie aux « schémas » conçus et affichés précédemment. Fluidité d’un ou de plusieurs cercles, corps et territoire en intersection. Ces rappels symboliques inscrits dans la majorité des œuvres de l’artiste confirment la relation à la fois complice et conflictuelle du temps et de l’étendue à habiter lors de chaque passage.
Ernesto Neto nous propose ici d’être au centre d’une architecture redessinée. Il nous incite à devenir acteur et spectateur d’un court instant plastique en train de se construire.

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