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Eric Poitevin

PMuriel Enjalran
@12 Jan 2008

Paysages, nus, objets ou portraits, autant de genres hérités de l’histoire de l’art dont le photographe Eric Poitevin brouille les conventions. Ni perspective ni hiérarchie dans le traitement des motifs: étonnante neutralité du point de vue.

Pour sa dernière exposition au Plateau, Eric Corne a choisi de présenter l’œuvre d’Eric Poitevin à travers un ensemble de grandes photographies issues de quatre séries autour du paysage et du corps. On retrouve les motifs propres à l’univers organique et physique de ce photographe singulier.
Paysages, corps, objets ou portraits, nous croyons reconnaître ces genres et leurs conventions hérités de l’histoire de l’art, pourtant quelque chose dans leur traitement et dans leur confrontation même se dérobe et brouille nos repères. Tout est lié, mais pas par les codes traditionnels ou des liens thématiques. L’artiste en affranchit le sujet pour mieux le révéler dans sa vérité, sa fragilité et sa densité. La plupart des sujets se détachent sur des fonds monochromes qui les éloignent et les libèrent de toutes contingences contextuelles, cadrés au plus près, certains même enserrés dans des cadres prolongeant la boîte que constitue déjà la chambre photographique.

Ainsi, des arbres aux branches puissantes pris dans un miroir nous renvoient au portrait d’une jeune fille. Arrêtée, silencieuse, les courbes de son buste sont soulignées par son pull dont la couleur et la maille rappellent l’écorce des troncs d’arbre : une Daphné sur le point de se métamorphoser…
Ces « portraits » d’arbres semblent figés, pourtant le regardeur plus attentif y percevra un frémissement, un imperceptible mouvement : dans un coin de l’image une branche a bougé, le miroir a reflété ce mouvement dans un éclat lumineux. La chambre photographique avec son temps de pose long a capté une variation subtile de la lumière, comme elle a laissé le temps à un frisson de parcourir la peau de certains grands nus présentés dans la salle suivante.
Des corps allongés, sans artifices, s’offrent comme des paysages à la vue du spectateur. Des « femmes-montagnes » sont posées comme des horizons, dénouées de toute charge sensuelle voire érotique.

Alternance de vides et de pleins, une surprenante petite salle aux allures de grotte couverte de fresques primitives répond en « négatif » aux autres. On y voit des photographies de charnier d’animaux prêts pour l’équarrissage. Une accumulation de dépouilles animales à peine reconnaissables, dissoutes dans une lumière dorée ressemble à la radiographie d’une terre constituée d’un enchevêtrement de racines.
Plus loin, une série d’os à moelle se détachant sur un fond blanc, pris dans des boîtes dont on perçoit légèrement les arêtes, se prolongent et s’ouvrent sur l’espace du mur-cimaise. Vidés de leur substance vitale, ces os posés les uns au-dessus des autres reconstituent une improbable colonne vertébrale. Ils répondent et s’opposent à la fois par leur sécheresse et leur forme à l’exubérance végétale des sous-bois présentés en face.

A sa suite, une série de bois flottant en apesanteur « cache » la forêt, redoublant les colonnes verticales de la salle et répondant aux lignes horizontales des nues. Enfin, forêts, marécage, portrait d’une jeune fille se rejoignent par le « all over », « l’entièrement » de leur surface : pas de perspective ou de hiérarchie dans le traitement des motifs, le regard n’a aucune prise, il glisse sur la surface, rebondit contre l’étonnante neutralité du point de vue. Ces images restent impénétrables comme les sous-bois baignés dans une atmosphère matinale : l’Enchanted Forest de Pollock dans l’opacité, l’entrelacement des formes en est proche.

Les contraintes techniques et climatiques sont prises en compte par le photographe qui attend le bon moment. Il fabrique ses images avec la mise en forme des sujets à travers le cadrage et l’attention portée à la lumière. Il y a en effet une oscillation permanente dans son travail entre la volonté d’anticiper l’image et la compréhension des limites de la photographie découlant de la technique même de la prise de vue : cette résistance de la vie à toute tentative de fixation, de reproduction exacte.

C’est finalement une écologie humaine que nous propose l’artiste à travers son œuvre dans cette volonté d’objectivation, cette rigueur presque scientifique de marquage d’un monde organique et naturel. Mais c’est surtout dans cette habileté à réunir dans une même image ce qui est antinomique : fixité et mouvement, légèreté et densité de la matière, « science fiction » et réel, et à suspendre ces sujets entre les deux mondes que réside toute la beauté et la force de son œuvre. Devant ces images silencieuses, un dialogue particulier s’instaure avec celui qui les regarde : il faut se laisser absorber peu à peu par elles et les laisser lentement monter en soi.

Eric Poitevin :
— Sans titre, 2004. Photo couleur contrecollée sur aluminium. 180 x 225 cm.
— Sans titre, 2002. Photo couleur contrecollée sur aluminium. 100 x 80 cm.
— Sans titre, 2000. Photo couleur contrecollée sur aluminium. 172 x 216 cm.
— Sans titre, 2000. Photo couleur contrecollée sur aluminium. 172 x 216 cm.
— Sans titre, 2000. Photo couleur contrecollée sur aluminium. 172 x 216 cm.
— Sans titre, 2004. Photo couleur contrecollée sur aluminium. 120 x 250 cm.
— Sans titre, 2004. Photo couleur contrecollée sur aluminium. 120 x 250 cm.
— Sans titre, 2004. Photo couleur contrecollée sur aluminium. 120 x 250 cm.
— Sans titre, 2001. Photo couleur contrecollée sur aluminium. 150 x 125 cm.
— Sans titre, 2001. Photo couleur contrecollée sur aluminium. 150 x 125 cm.
— Sans titre, 2001. Photo couleur contrecollée sur aluminium. 150 x 125 cm.
— Sans titre, 2003. Photo couleur contrecollée sur aluminium. 180 x 150 cm.
— Sans titre, 1998. Photo couleur contrecollée sur aluminium. 180 x 300 cm.
— Sans titre, 1994. Photo couleur contrecollée sur aluminium. 172 x 216 cm.
— Sans titre, 1994. Photo couleur contrecollée sur aluminium. 172 x 216 cm.
— Sans titre, 1994. Photo couleur contrecollée sur aluminium. 172 x 216 cm.
— Sans titre, 1994. Photo couleur contrecollée sur aluminium. 172 x 216 cm.
— Sans titre, 1995. Photo couleur contrecollée sur aluminium. 180 x 225 cm.
— Sans titre, 1995. Photo couleur contrecollée sur aluminium. 180 x 225 cm.
— Sans titre, 1995. Photo couleur contrecollée sur aluminium. 166 x 216 cm.
— Sans titre, 2004. Photo couleur contrecollée sur aluminium. 113 x 100 cm.

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