ART | INTERVIEW

Eric Mouchet, galeriste

Dans cet interview, Eric Mouchet nous parle de l’actualité de sa galerie située rue Jacob à Saint Germain des Prés dans le 6ème arrondissement de Paris et de l’exposition «Peeping space» présentée actuellement. C’est l’occasion de revenir sur ses motivations qui l’ont poussé à ouvrir son propre espace.

Vous avez travaillé pendant douze ans pour Michel Zlotowski en tant qu’ambassadeur de l’œuvre pictural de Le Corbusier. Qu’est ce qui vous a poussé à ouvrir votre propre espace ?
Plusieurs raisons conjointes : l’impression d’avoir réellement accompli quelque chose en contribuant à faire connaître et reconnaître le travail pictural de Le Corbusier, et donc l’envie d’aller maintenant de l’avant en me donnant un nouvel objectif. Ce nouveau but, c’est de faire de même avec des artistes contemporains dont j’aime profondément le travail, et que je collectionne depuis des années, mais qui restent peu connus en France car aucune galerie ne les y représente activement. Cela comporte des artistes vivants de toutes générations : certains se sont fait connaître dans les années 70, certains ont mon âge, et d’autres sortent tout juste de l’Ecole des Beaux Arts.
Enfin, j’ai sans doute voulu me tester en prenant moi-même les rênes d’une galerie ; même si c’est une toute petite entreprise, c’est une expérience tout à fait différente que celle d’être salarié. C’est très excitant, et j’ai coutume de dire que je suis le plus heureux des hommes les dix premiers jours de chaque mois,… mais aussi le plus angoissé les vingt autres jours, quand je dois trouver comment faire pour payer les salaires à la fin du mois.

Votre galerie est installée rue Jacob à Saint Germain des Prés dans le 6ème arrondissement de Paris, historiquement l’un des cœurs artistiques de la capitale. Ce caractère historique a-t-il influencé l’installation de votre galerie dans ce périmètre ?

Le quartier de Saint-Germain, conserve effectivement son image historique de centre intellectuel et culturel, tant auprès des étrangers du monde entier que des français cultivés. Il reste une étape incontournable pour nombre d’amateurs d’art visitant Paris. Ils y logent souvent, quand ils n’y ont pas même un pied à terre. J’ai choisi ce quartier parce que je le connaissais déjà bien du fait de ma longue collaboration avec Michel Zlotowski, qui est installé rue de Seine, mais aussi parce que j’en aime l’ambiance et le cosmopolitisme. Quant au choix de la rue Jacob, même s’il est en partie dû à la chance, il me satisfait pleinement : rue historique des grandes maisons d’éditions, elle abrite encore des libraires très spécialisés, des marchands d’autographes, et des antiquaires éclectiques qui présentent de vrais cabinets de curiosité et de savoir. Cette rue est précisément dédiée aux gens curieux, désireux d’apprendre et de faire des découvertes. Aux amateurs qui ont une réelle ouverture d’esprit.
C’est donc dans ce quartier situé entre l’Ecole Nationale des Beaux Arts de Paris, la Faculté de médecine et Science Po, que je me suis installé pour montrer de l’art contemporain, à mi chemin entre les rues des galeries d’art moderne et d’art premier, et le carré des antiquaires. Mais je ne suis pas non plus un d’une témérité démesurée, car quelques galeries contemporaines très renommées et exigeantes sont parsemées dans les environs depuis longtemps.


Que pensez vous de l’évolution du quartier de Saint Germain des Prés aujourd’hui pour les galeries d’art ? Le quartier arrive-t-il à rivaliser avec le Marais ou encore Belleville, un autre poumon artistique de la création contemporaine à Paris ?

L’énergie du Marais, et l’implantation successive de nombreuses galeries à Belleville, puis dans le Haut Marais et la rue Notre Dame de Nazareth montrent que la scène contemporaine parisienne est d’une grande vigueur, portée par des entrepreneurs dynamiques et confiants dans l’avenir comme je le suis moi-même. J’ai la sensation que Paris a le potentiel pour redevenir une place importante sur la scène artistique internationale. Saint Germain des Prés, du fait de son histoire, de sa proximité avec l’Ecole des Beaux Arts, de ses nombreux hôtels luxueux, et également de sa population globalement cultivée et aisée a tous les atouts pour redevenir un haut lieu de l’art contemporain. Son seul inconvénient : le prix de l’immobilier. Il y est très élevé, et c’est ce qui motive les galeries pour aller s’installer dans des quartiers moins centraux où l’on peut trouver de grandes surfaces pour un moindre coût.  La mode est à l’inflation des surfaces d’exposition, mais je suis imperméable aux phénomènes de mode. Au contraire, j’ai donc fait le choix d’un espace d’exposition très agréable et très modulable de 80 m2, et situé au cœur d’un quartier qui abrite des milliers de clients potentiels.

Vous accordez une grande place à la création contemporaine dans vos expositions. Aujourd’hui quelle place tiennent les jeunes artistes français sur la scène artistique internationale ?
Certains artistes français font leurs preuves sur la scène internationale, mais cela prend du temps. Je ne trouve pas que les très jeunes artistes français s’exportent encore bien. Nous avons assurément une lourde mission à cet égard. J’expose environ 50% d’artistes français, mais je vais aussi fréquemment chercher des artistes étrangers afin de montrer leur travail dans ma galerie. Pour ce faire, j’ai créé un réseau d’amitié avec de nombreuses galeries étrangères sur trois continents. J’espère bien les convaincre à terme de présenter à leur tour quelques uns des artistes français que je soutiens. Notre participation prochaine à nos premières foires va également nous donner l’occasion de tester personnellement nos choix de jeunes artistes auprès d’un public étranger à la recherche de nouveaux artistes prometteurs, et je compte bien que les français y tiendront une bonne place. En tout cas, ce sont deux artistes français que nous montrons à Solo Project à Bâle du 12 au 18 juin.


Quelles relations entretenez-vous avec les artistes que vous représentez ?

Je dois dire que côtoyer quotidiennement des artistes me rend extrêmement heureux. C’est même une véritable découverte, car auparavant, en tant que simple collectionneur, je n’avais pas envie de rencontrer les artistes dont j’achetais les œuvres, et n’aurais d’ailleurs pas su quoi leur dire. Aujourd’hui, j’endosse une responsabilité de passeur, et j’ai besoin de comprendre ce qui les motive afin de parler aussi intelligemment que possible de leur travail aux visiteurs de la galerie.
Par ailleurs, j’essaie d’apporter aux artistes à qui je propose d’exposer chez moi les meilleures conditions de travail possibles. Je les invite à prendre totalement librement possession de l’espace. J’essaie également, dans la mesure du possible, de contribuer aux frais de production. Dès lors qu’une exposition est convenue avec un artiste, je lui fais une entière confiance. Dès que nous avons pu économiquement le faire, nous avons également commencé à réaliser des catalogues à l’occasion des expositions, et allons accentuer cet effort l’année prochaine. J’ai été très heureusement surpris de constater que la plupart des artistes nous étaient très reconnaissants des efforts – effectivement nombreux – que nous faisons pour qu’ils bénéficient d’une exposition dont ils pourront être fiers, et qui leur serve de tremplin. Je crois pouvoir dire que nous sommes au service des artistes lorsqu’ils s’installent à la Galerie Eric Mouchet, et qu’ils le ressentent bien et nous en savent gré. J’envisage la mission de la galerie comme un véritable partenariat avec les artistes, et je leur dis aussi que ma galerie est jeune, et qu’elle ne dispose pas du même carnet d’adresses, ni de la notoriété d’une galerie installée depuis 20 ans. A cela, un jeune artiste m’a répondu qu’il en avait bien conscience, et que de son côté, il ferait tout pour que nous grandissions ensemble : c’est le plus beau compliment qu’un artiste ait pu me faire .
Enfin, si nous prenons notre mission au sérieux en tentant d’apporter autant qu’il est possible de confort et de confiance aux artistes, je veux avant tout leur rendre hommage car ils se vouent à leur art avec une abnégation admirable, et préparent leurs expositions avec une totale implication et une conscience professionnelle sans faille.

Y a t-il un véritable parti pris, une ligne dans la sélection de vos artistes et qu’est ce qui vous anime dans leur travail ?

Lors de l’ouverture de la galerie il y a presque deux ans, j’avais du mal à répondre à cette question, et je me fiais à mon instinct sans chercher à expliquer où il me menait. Aujourd’hui, je vois se dessiner les constantes, qui caractérisent les artistes qui m’intéressaient déjà en tant que collectionneur, et les artistes plus jeunes qui exposent maintenant chez moi, souvent sur proposition de mon jeune collaborateur, Léo Marin dont le réseau de connaissances sur la très jeune scène m’est un apport déterminant.  Pour résumer, je dirais que mon artiste idéal – moderne ou contemporain –  est un artiste qui a un véritable propos politique ou sociologique portant sur des préoccupations de son époque, et qui parvient à en faire jaillir une œuvre sensible en mettant en oeuvre une très grande économie de moyens. Les formes qui se cachent derrières cette définition lapidaire peuvent être très variées et ne se traduisent pas nécessairement par une grande uniformité plastiques dans les expositions qui se succèdent, mais, en analysant les différents travaux que nous montrons, vous verrez que ces trois exigences sont omniprésentes :
Implication dans le monde d’aujourd’hui, intelligence du médium employé qui aboutit à une finesse de l’expression, et surtout, surtout, une modestie dans la mise en œuvre.
La phrase pertinemment évoquée par Mies « Less is more » est plus que jamais d’actualité !

La galerie a-t-elle l’intention de participer à des foires prochainement ?
Christophe Ménager, commissaire de la section Exhibitors POWER! De The Solo Project à Bâle, qui apprécie le caractère expérimental de notre travail nous a invité à participer à l’édition de cette année. Nous lui en sommes très reconnaissants car cela nous met le pied à l’étrier. Dans la foulée, nous serons à YIA à Paris à l’automne, et postulerons à ARCO à Madrid pour février 2017. ARCO est à mon sens la grande foires d’art contemporain la plus propices aux découvertes, et donc à la rencontre de collectionneurs, et d’institutions désireux de s’engager dans un art jeune et réellement de son temps.
Pour The Solo Project à Bâle du 13 au 18 juin, nous montrerons des pièces de Pierre Gaignard et de Cyril Zarcone, deux jeunes artistes de la galerie, qui y ont respectivement bénéficié d’exposition personnelles ce printemps, en février et mars-avril.

Quelques mots sur votre prochaine exposition…

Pour notre exposition d’été intitulée «Peeping space», nous invitons Bénénice Lefebvre et Gwendoline Perrigueux, deux jeunes artistes récemment diplômées de l’ENSBA de Paris et membres de l’artist-run space ChezKit à Pantin. Leurs pratiques respectives, très différentes, mais absolument complémentaires sont mises en dialogue par un troisième intervenant : l’auteure poète Etaïnn Zwer qui a effectué une très belle lecture samedi 4 juin lors du vernissage et qui rythmera l’exposition  par de nouveaux « cartelspoèmes » imaginaires en forme de  work in progress sur la vitrine chaque semaine jusqu’à mi-juillet.
L’exposition de la rentrée de septembre, intitulé « Machinations » sera une carte blanche à Aurélie Faure, membre fondatrice avec Léo Marin et Ivan Dapic, d’un collectif de commissaires et d’éditeurs à peine trentenaires et très exigeants.  Puis suivra en octobre une exposition monographique d’un grand monstre de la photographie japonaise devenu universellement célèbre au début des années 1960 pour ses portraits de Mishima: Eikoh Hosoe !
Mais à ce point de notre entretien, je souhaite conclure en louant le courage et la capacité organisatrice de cette génération de jeunes artistes, poètes, et commissaires d’expositions qui m’entourent quotidiennement, et pallient la difficulté d’être présents sur la scène par une capacité d’entraide extraordinaire. Leur ouverture aux autres, leur mode de fonctionnement communautaire qui passe par l’élaboration d’un vaste réseau pluridisciplinaire me semble, après quelques décennies d’individualisme, témoigner d’une nouvelle énergie de la jeune création française, et augurer d’un avenir très prometteur pour l’art contemporain français sur la scène internationale.

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