PHOTO | CRITIQUE

Éric Aupol

PPierre-Évariste Douaire
@12 Jan 2008

Les photographies de sculptures et de peintures baroques d’Éric Aupol creusent le sillon de notre mémoire. Lieux et êtres oubliés sont les moteurs de ce corpus qui revisite nos amnésies. À l’opposé de toute nostalgie, ces modèles passés fonctionnent comme des matrices à voyager dans le temps, ils sont des miroirs braqués sur le futur.

Après une résidence à Sarlat, Éric Aupol nous présente son travail. Ses natures mortes ne sont pas des paniers de fruits ou des tables dressées mais prennent comme modèles des peintures et des sculptures en cours de restauration. Mais à l’opposé de toute nostalgie et autres pensées mortifères, le photographe compose ses images comme des devenirs possibles.

Photographies de la mémoire, a priori énigmatiques, les tirages très soignés creusent le sillon des souvenirs. En cadrant sur les déchirures d’une toile en restauration, le photographe tente de combler nos trous de mémoire, qu’ils soient personnels ou collectifs. La Mémoire s’écrit en majuscules, il l’éclaire d’une façon élégante et discrète.

Il faut se laisser guider par cette photographie qui s’annonce et se donne directement, mais qui prend le temps d’apparaître. Loin de l’évidence, les tirages grâce à un jeu savant d’ombres et de lumières, donnent peu à peu leur explication. L’exigence de la prise de vue demande une acuité et une attention soutenues pour le spectateur. Ce dernier doit prendre le temps de passer d’une image à l’autre. Le contexte et la thématique sont immédiatement reconnaissables, mais il faut de la patience pour déchiffrer les détails et les nuances.

Il faut par exemple savoir que les sculptures et les tableaux ont une histoire. Sarlat, réserve longtemps oubliée des collectionneurs et des restaurateurs de tableaux, est une ancienne chapelle qui sert de dépôt aux œuvres en transit, en devenir. C’est un lieu abandonné pour tableaux griffés par le temps. Le travail photographique revient à faire revivre ces chefs-d’œuvres mineurs.

Pour être exact, l’ancienne chapelle, éclairée à la lumière naturelle, fonctionne comme un purgatoire, comme un espace de l’entre-deux qui enjamberait le passé et le futur. Loin de la photo-souvenir, et de l’archivage propre au médium photographique, à l’opposé d’un travail qui s’efforce de lutter contre un monde qui disparaît, comme chez Atget ou Evans, Aupol pointe un monde en devenir, un monde en résurrection.
Le mot est à entendre dans un sens hiératique et non pas religieux. Même si les œuvres photographiées sont votives, elles font aujourd’hui plus appel à notre spiritualité qu’à notre religiosité. La résurrection est aussi végétale, les oeuvres sont comme des bourgeons prêts à refleurir. Les statues de pierre photographiées, sortes de stèles de la disparition, sont recouvertes d’un sarcophage de cellophane. L’hymen protecteur ressemble aux tombeaux de Mariko Mori ou aux sacs plastiques de la morgue, c’est au choix. Promesse d’un au-delà ou d’une fin irrémédiable, les sept photographies de l’exposition ne tranchent pas et laissent planer le doute.

Le corpus présenté puise sa référence dans un art sacré d’un autre temps et se voile d’un film plastique transparent contemporain. Les objets pris pour modèles sont des archanges déchus, en quête de restauration, en quête de résurrection. Habitants des limbes, ces êtres de pierre et de vernis mal ravaudés attendent dans les oubliettes de l’histoire. Œuvres vermoulues, Adorations prenant la poussière, statues habitées par des « araignées aux nids truffés de bulles » sont en marge d’une histoire héroïque et mythique.

Loin de la glorification muséale d’un Thomas Struth, Eric Aupol nous perd dans le dédale de l’oubli et des strates mnémoniques. Photographier une œuvre d’art, même mineure et oubliée, n’est pas un travail tautologique ou référentiel comme chez Cindy Sherman. Le retour qu’il introduit n’est pas de cet ordre. Ni dénonciation, ni simulacre, mais un travail qui fonctionne par couche successive, un travail qui marche par sédimentation.

Éric Aupol  :
— Sans titre, 2003. Série de 7 photos. Dimensions variables.

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