ART | CRITIQUE

Epreuve d’artiste

PMuriel Denet
@12 Jan 2008

Des chauve-souris noires clouées au mur de la galerie se révèlent aussi bien animaux marins remontés des profondeurs, qu’oiseaux de nuit, plus ou moins fantastiques, ou fusils d’assaut, elles survolent la ligne d’horizon d’un paysage nocturne.

Une collection de chauve-souris noires est clouée au grand mur blanc de la galerie. Le ton macabre de la prestation d’Annette Messager chez Marian Goodman est donné. Mais attention, sous la noirceur, la révolte gronde.

Les mammifères volants se révèlent aussi bien animaux marins remontés des profondeurs, qu’oiseaux de nuit, plus ou moins fantastiques, ou fusils d’assaut. Découpés dans des feuilles de caoutchouc noir façon cuir, biformes par pliage, ou multiplés par superposition de plusieurs épaisseurs, ils survolent la ligne d’horizon d’un paysage nocturne.

L’ensemble est cerné par un grand boudin noir en fourrure synthétique, qui évoque un catafalque pour un tableau taxidermiste des menaces qui planent sur le monde (Mes caoutchoucs (comédie-tragédie)). Menaces réelles ou fantasmées, elles s’accomplissent dans d’autres pièces : tortures assassines (Contrepique (avec supplicié)), massacres rampants (La Lilloise). Les piques (de la révolte populaire ?) brandissent des banderoles dont les messages sibyllins tournent au film d’horreur.

L’une d’elles annonce l’annulation du spectacle. Peut-être un clin d’œil au combat actuel des intermittents, qui, au passage, se voient conférer un drôle de pouvoir : celui d’arrêter le spectacle de la cruauté que le monde semble vouloir offrir dans un éternel recommencement. À l’image de la ronde du traversin, qui, au sous-sol, tourne inlassablement autour d’un charnier de grosses souris, pour le mettre sous la surveillance inerte d’un petit chat naturalisé entraîné dans sa course sans fin (L’Enclos du traversin).

La résonance aiguë de ces images avec l’horreur du monde se télescope, dans une forme d’évidence déconcertante, avec l’innocence supposée des images de l’enfance, douillettement nichées dans la chaleur familière et douce des tissus et peluches si chers à l’artiste.

Annette Messager, à qui reviendra d’investir le pavillon français de la prochaine Biennale de Venise en 2005, exorcise ainsi, sans le moindre complexe et avec une ingénuité corrosive, les démons de la barbarie. Par des images qui peuvent aussi être empreintes de la nostalgie des combats anciens. À l’écart, un gros fusil mafflu et moelleux s’expose debout, une rose au canon.

Annette Messager
— Pique-nique, 2003-2004. Bois, caoutchouc. 235 x 240 x 65 cm.
— Contrepique armée, 2004. Caoutchouc, bois, tissus, cordes. 230 x 190 x 75 cm.
— Piquet de grève, 2004. Bois, caoutchouc, tissus, cordes. 240 x 115 x 48 cm.
— Contrepique (avec le supplicié), 2002-2003. Bois, tissus, filet, cordes. 235 x 170 x 48 cm.
— Mes caoutchoucs (Comédie-tragédie), 2002-2003. Caoutchouc, cordes. 340 x 770 x 60 cm.
— La Lilloise, 2002-2003. Tissus, cordes, moteur. 230 x 90 cm. Hauteur variable.
— La Fleur au fusil, 2004. Tissu, rose. 135 x 40 x 25 cm.
— La Croix gantée, 2002-2004. Tissus, caoutchouc, crayons de couleurs, bois. 80 x 102 x 60 cm.
— Vanitas, 2003-2004. Bois, tissus, cordes. 230 x 225 et 220 x 360 cm.
— Caoutchouc-Nounours, 2003-2004. Caoutchouc, tissus, filet. 65 x 80 x 45 cm.
— Rumeur, 2000-2004. Tissus, ficelle. 100 x 185 x 43 cm.
— L’Enclos du traversin, 2002-2004. Tissus, traversin, peau, moteur, poulie, corde. 85 x 430 x 460 cm.

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