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Envoyer/Promener: les limites du regard

PJuliette Delaporte
@12 Jan 2008

Huit installations, rassemblées par Eric Corne au cœur du Parc de la Villette, perturbent la promenade du visiteur. Au flâneur de les recevoir à sa guise, d’inventer son parcours en traversant les œuvres... Expérience autant physique que visuelle.

Cette indétermination s’oppose à l’idée selon laquelle une distance fixe ou une durée particulière pourrait rendre compte d’une œuvre. Alors, s’attacher aux limites du regard c’est peut-être contrecarrer toutes les circonscriptions, permettre au regard d’être porté par le corps et d’esquisser un point de vue à travers sa déambulation.

Il ne s’agit pas d’entrer en concurrence avec le parc. Au contraire, les propositions artistiques disséminées autour de l’allée du Belvédère forment une exposition-caméléon qui dialogue avec la grande étendue de «bitume herborisé», selon l’expression d’Éric Corne. Elles perturbent le parcours du visiteur sans jamais se donner en spectacle.

Quels dialogues, quelles perturbations?
Le rouge qui marque fortement la sculpture de Christophe Cuzin, le gonflable de Hans-Walter Müller et les trois voiles de Ursula Achternkamp, rappelle celui des Folies de Bernard Tschumi. Ces vingt-cinq Folies, constructions permanentes du parc, opposent leur rouge vif au vert des pelouses. Espacées de 120 mètres, elles construisent dans le parc une séquence, un rythme, une régularité visuelle.
Les installations de Christophe Cuzin, de Hans-Walter Müller et de Ursula Achternkamp réunies par le rouge créent un ensemble proposant un autre parcours, un dialogue entre les œuvres. La structure de Christophe Cuzin «tombe». Elle est couchée, à plat. C’est l’ombre matérialisée de la Folie qu’elle côtoie. Sa lourdeur s’oppose à la légèreté du gonflable à l’intérieur duquel flotte une boule rouge. Les trois voiles rouges de Ursula Achternkamp, remarquables par le mouvement qui les anime, entourent ce vis-à-vis.

Un recul est nécessaire pour voir cet ensemble. En se rapprochant, on se glisse dans les œuvres. La variation des distances multiplie les points de vue. Le regard est tributaire de l’aléatoire de la déambulation.

Le corps se déplace au cœur des œuvres elles-mêmes: le gonflable est un véritable microcosme. Le traverser revient à faire l’expérience d’un univers singulier dont l’atmosphère détonne par rapport à celle du parc. Ce globe d’allure fragile établit le règne du mouvement et de l’air contre celui de l’immobilité des architectures pérennes et dures. Pourtant, l’enveloppe du gonflable en plastique transparent empêche le visiteur de s’extirper absolument du monde du parc. Une coexistence étrange travaille les limites du regard. En traversant Au bord de l’air, on découvre un univers particulier tout en restant dans le parc. Le regard est perturbé par la transparence de la frontière.

La multiplicité des points de vue au fil de la déambulation n’est pas seule à brouiller les pistes, à interroger les limites du regard. Dans l’installation sonore À perte de vue, qui fait entendre en haut d’un belvédère un récit de Marcelline Delbecq, ou à l’écoute des flûtes de bambou de Érik Samakh, le promeneur est envahi par une bouffée d’images intimes qui le transportent dans un ailleurs imaginaire. Le haut et le bas, la structure métallique du belvédère et la forêt amazonienne s’entrechoquent, les repères sont ébranlés.

Jeux de parcours, de déambulations, de distances et enfin jeux d’entre-deux. La photographie d’âne de Jean-Luc Tartarin, au centre d’un triptyque de panneaux publicitaires, oppose la force primitive de la nature à l’ambivalence du parc, semi-urbain, semi-naturel.
Entre deux saisons touristiques, Franck Gérard photographie les solitaires de l’automne, ceux qui semblent égarés au milieu de l’immensité du parc. Des corps composés est conçu sous la forme d’une table d’orientation où se rassemblent des lieux vidés, des images graphiques où l’humain n’est parfois qu’une touche, qu’une trace.
Cette table d’orientation fait signe. Peut-être est-ce l’ironie même d’un indicateur de désorientation, de perturbation, celle qui préside à la traversée de l’exposition.

Ursula Achternkamp
— Last Dance, 2006. Toile acrylique.

Christophe Cuzin
— 180520061, 2006. Bois CTBX.

Marcelline Delbecq
— À perte de vue, 2006. Installation sonore.

Franck Gerard
— Des corps composés, 2006. D’après ektachrome, impression numérique.

Suzanne Lafont
— Dialogue, 2006. Impression numérique à jet d’encre.

Hans-Walter Müller
— Au bord de l’air, 2006. Plastique PVC.

Erik Samakh
— Les Joueurs de flûtes, 1997/2006. Aluminium et résine, capteur solaire, turbine et électronique.

Jean-Luc Tartarin
— Assemblé/1, 2000-2001 / 2006. Impression numérique à jet d’encre.

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