PHOTO | CRITIQUE

Envers des villes, endroit des corps

PMarguerite Pilven
@12 Jan 2008

Avec « Envers des villes, endroit des corps », Gilles Saussier tente une approche singulière du documentaire. Son enquête sociologique autour du projet de réaménagement du quartier Malakoff à Nantes se double en fait d’un questionnement critique sur l’image documentaire et ses alternatives possibles.

« J’avais senti poindre en moi le divorce d’avec un photo journalisme qui utilise le monde comme faire-valoir de sa propre mythologie et ne le parcourt que pour mieux y reconnaître l’iconographie que tous ceux qui ne voyagent pas ont en tête ».
Depuis sa rupture effectuée en 1994 avec l’agence Gamma et plus globalement le photo journalisme, Gilles Saussier développe une approche documentaire toujours soucieuse d’inventer de nouveaux modes de rapports à l’autre photographié.

Le projet de réaménagement du quartier Malakoff à Nantes est l’objet de cette nouvelle série de travaux. Usant de la photographie comme d’« une tentative de se faire une histoire commune avec les autres ». Saussier cherche à déceler les signes de la rupture et des bouleversements que ce vaste projet de rénovation du quartier occasionne.

Le titre de la photographie, Echelle humaine, tient lieu de commentaire ironique à la vue panoramique de barres d’immeubles. La légende précise que le miroir à l’intérieur duquel le spectateur se reflète « est à l’emplacement d’une tour HLM promise à la démolition ». Télescopant l’échelle humaine sur des immeubles collectifs, Saussier pointe en raccourci l’enjeu du problème : la confrontation entre chantiers publics et histoires individuelles, promoteurs immobiliers et habitants de Malakoff, ville et corps.

La portée éthique de cette exposition ne tient pas tant en la vision engagée de Saussier sur un problème d’ordre social qu’en la logique d’exposition qui la sous-tend, accordant au spectateur une place essentielle. On suit en pointillé des histoires individuelles qui se construisent en porte à faux de l’histoire officielle, mais dont Saussier ne délivre que des fragments.

Le recours fréquent de miroirs qu’il place au coeur de ses photographies semble vouloir insister sur notre participation. Evitant toute narration appuyée pour laisser leur sujet être par eux-mêmes, ces photographies apparaissent plutôt comme les jalons d’une réflexion ouverte dont le spectateur se saisira ou non pour en dégager la portée critique ou l’épaisseur dramatique.
La démarche de Saussier opère finalement à travers l’observation silencieuse et le prélèvement d’une réalité qu’il se garde de commenter pour la rendre plus visible encore. C’est justement par cette position en retrait que Saussier ouvre les conditions d’un dialogue avec l’autre, qu’il s’agisse du spectateur ou du sujet photographié.

Gilles Saussier
— Déménagement, Cité Malakoff, 2004. Tirage lambda. 120 x 120 cm.
— Echelle humaine, 2004. Tirage lambda et miroir. 110 x 181 cm.
— Vue sur Loire, 2004. Tirage lambda, silhouette et miroir. 120 x 120 cm.
— Tribune populaire, Nantes, 2005. Tirage lambda. 131,5 x 105 cm.
— Les Visiteurs, 2004. Diptyque, tirage lambda et miroir. 120 x 240 cm.

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