ART | CRITIQUE

Entre temps

Vernissage le 06 Sep 2003
PBarbara Le Maître
@13 Sep 2003

Un visage immense projeté sur une surface transparente et légèrement frémissante place l’exposition entre la Momie (synthétique) du changement et le Travail du suaire. La suite est consacrée au monde des archives de Christian Boltanski, à une réflexion sur « ce qui reste ».

D’emblée, un visage immense se dresse devant nous, projeté sur une surface transparente et légèrement frémissante. Visage reconnu et pourtant insaisissable, parce que pris dans le temps vertigineux d’une croissance accélérée : la face blanche aux orbites noires, dont l’apparence est sans cesse remodelée par la précipitation temporelle, évolue ainsi de l’enfance jusqu’à l’âge mûr, puis régresse avant de disparaître complètement — ensuite, tout recommence. On le sait, depuis l’avènement de l’enregistrement cinématographique, l’image est en prise avec l’impermanence des phénomènes — laquelle est ici visuellement renforcée — et, pour reprendre les termes d’André Bazin, désormais « l’image des choses est aussi celle de leur durée et comme la momie du changement ».

Momie (synthétique) du changement est une première formule pour qualifier l’œuvre présentée à l’orée de cette exposition ou, mieux, pour qualifier l’événement plastique auquel elle nous confronte. À quoi il faut ajouter une seconde proposition, davantage destinée à rendre compte de l’efficacité symbolique de cette œuvre, soit l’idée de Travail du suaire. Précisons : au-delà du seul remplacement d’un premier visage (celui du Christ) par un autre (celui de Boltanski, selon toute probabilité), il s’agit de supposer que l’image offerte à notre contemplation dialogue avec le célèbre linceul conservé à Turin. Question de support, d’abord, puisque la figure apparaît sur une surface tremblante, plus proche du tissu qui se ride et se plisse que de n’importe quel plan de composition traditionnel. Question de procédure, ensuite : on a là, en effet, deux images qui sont de l’ordre de l’empreinte, même si la seconde — techniquement plus complexe : multiple et mouvante — procède de la lumière et non de sécrétions organiques.

Cependant, pourquoi parler de linceul, alors que nous avons affaire à un corps en réalité bien vivant ? Si cette empreinte de visage s’articule sur le Saint Suaire, c’est précisément parce que s’y déploie l’inéluctable cheminement du visage vers sa disparition — autrement dit, parce que l’image constitue la trace d’une mort à venir, parce que le visage reproduit, déjà, s’avance à titre de reste.

La suite de l’exposition se consacre à étendre la réflexion sur « ce qui reste ». Le visiteur traversera d’abord le monde des archives de Christian Boltanski : c’est l’ensemble des documents plus ou moins ordinaires — courriers liés au travail, feuilles de sécurité sociale, factures, photos défraîchies, billets de train, bilans d’analyses médicales, etc. — qui sont dispersés à l’intérieur d’une vingtaine de vitrines. Viendront ensuite des œuvres plus nues mais tout aussi émouvantes, qui témoignent d’un reste plus abstrait (l’entre temps qui donne son titre à l’exposition ?) : il s’agit en l’occurrence d’une série d’objets anonymes, à mi-chemin entre la plaque funéraire et la plaque minéralogique, porteurs des seuls huit chiffres qui ouvrent et ferment la parenthèse de toute vie humaine.

Au terme du parcours, demeure un constat troublant : ce parcours au travers des « formes du reste » coïncide avec une éclipse progressive de l’image et de la figuration.

Christian Boltanski
— La vie impossible, 2001. 20 caissons, documents d’archives et néons.
— Mes morts, 2002. Peinture sur métal et néons, 16 éléments.

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