ART | CRITIQUE

Entre feu et glace

PPierre-Évariste Douaire
@18 Nov 2011

A.R Penck revient pour la cinquième fois à la galerie Noirmont. Avec ses toiles il nous déclare la guerre du feu. Entre primitivisme et logotype, il construit des fresques épurées et denses dans lesquelles il met le monde en bouteille.

Entre feu et glace commence par un murmure bruyant. Les sons laissent entendre un tintement particulier. Les couleurs pures et brutes se heurtent dans un bestiaire qui ressemble à un abécédaire. Les toiles d’A.R Penck présentées sont autant à déchiffrer, décrypter qu’à apprécier pour leur rythme.

Plus que la glace, c’est vraiment l’élément feu qui transcende l’ensemble des quinze toiles présentées. Le noir goudron évoque le charbon de bois tandis que le rouge est du côté de la braise incandescente. Pris dans une bataille rangée de couleurs et de formes, la guerre du feu peut commencer.

Le travail du peintre est aussi simple que complexe. La simplicité de la couleur utilisée, la réduction de sa palette, l’aspect schématique et cursif de son écriture, plongent son œuvre dans le dépouillement et la lisibilité immédiate. En revanche, ce qui produit la complexité, c’est l’enchevêtrement de tous ces signes et de toutes ces figures. L’ensemble prend l’allure d’un labyrinthe de sens et de pulsions. Il est difficile de retrouver son chat dans ces méandres chaotiques.

La composition et le traitement par la superposition de deux plans est là pour aider le spectateur à dérouler son fil d’Ariane. A travers cette forêt de symboles endormis et rampants, il devient aisé de trouver son chemin.

La force des peintures exposées vient sans doute du caractère irruptif et maîtrisé de l’Allemand. Comme pour un exercice d’écriture ce dernier utilise l’oxymore dans sa dualité et sa confrontation. L’élément qu’il choisit d’utiliser est toujours double. La couleur bien évidemment, mais également les figures et les signes cursifs ou le jeu entre les plans.
Une première couche est recouverte par un badigeonnage noir. La réunion de ces deux mouvements laisse transparaître un fond en voile complètement cadenassé par une écriture d’asphalte.

Plus que des phrases écrites ce sont des onomatopées qui s’inscrivent dans une ponctuation subtile et efficace. Le résultat n’est pas le fruit d’un scripteur, mais bien celui d’un peintre. La peinture qui accouche devant nos yeux est corsetée par un orfèvre. La toile est saturée de couleurs et d’inscriptions, mais elle n’étouffe pas sous sa chair, bien au contraire. La respiration qui se dégage des compositions est dense, lourde, pesante, mais elle permet au Welt Bild, à l’image monde, de se créer.

On l’aura compris, les aspirations et les souhaits de l’artiste, le placent dans une volonté de créer une œuvre d’art totale. Il accouche de tableaux-mondes, où l’écriture, la figure et les symboles valsent ensemble pour donner une partition complète.
Cette volonté est palpable et veut croire encore à une peinture toute puissante, messianique et scientifique. Véritable condensé et à la fois tranche de vie, les hommes aux traits fins parlent à notre mémoire. Ils en appellent aux premières figures primitives, à ces traits verticaux gravés sur la roche, mais ne finissent pas de dresser des parallèles entre les premiers humains sur terre et le premier homme qu’est Adam.
Dans les autoroutes d’informations que l’artiste nous bombarde il y a souvent la présence d’un serpent qui vient lorgner et s’infiltrer dans le bestiaire où nous sommes pris.

Å’uvres
— A.R. Penck, Elementarkräfte, 2009. Acrylique sur toile. 150 x 200 cm
— A.R. Penck, Zwischen Feuer und Eis, 2009. Acrylique sur toile. 140 x 200 cm
— A.R. Penck, Systembild – Veränderung, 2008. Acrylique sur toile. 130 x 160 cm
— A.R. Penck, Stadt Im Winter, 2007. Acrylique sur toile. 200 x 130 cm
— A.R. Penck, Sehnsucht und Hoffnung (Désir et espoir), 2009.
— A.R. Penck, Halluzination, 2009.
— A.R. Penck, Klarheit der Vokale (Clarté des voyelles), 2009.

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