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Entracte

Entracte poursuit l’extrême singularité de l’état de mutation — de l’entre-acte — et lance à ses trousses les possibilités les plus libres, les plus particulières et les plus mêlées des arts plastiques, de la musique et de la danse. La pièce déplie les multiples épaisseurs du temps et de l’expérience. Elle met à jour, par de puissants allers-retours entre profondeur et surface, la densité et les métamorphoses d’une existence. Deux créateurs épris tout à la fois d’indépendance et d’appartenance, de grands espaces et d’intimité, prennent la liberté d’offenser et modifient le temps lui-même.

Josef Nadj et Akosh S. partagent leur origine magyare et un long parcours de réflexion sur l’identité. Chacun travaille la matière des territoires, l’exil, l’appartenance à des lieux rêvés, éphémères et malléables. Leur collaboration vise un tissage serré, une osmose à bâtir entre ces formes identitaires que sont les gestes et les sons. L’univers poétique et mutique de Josef Nadj est soutenu ici par la composition d’Akosh S. qui partage sa gravité, sa force, son jeu avec l’absurde réalité et l’humour grinçant qui en découle.

Lorsqu’on assiste à Entracte, le flux puissant de la musique emporte les habitudes, les automatismes d’analyse et transforme le regard en bousculant l’écoute. Il y a de la démesure dans l’œuvre d’Akosh S. , de la folie et du génie. Dans cette coulée de sons qui traverse l’infinie diversité de l’univers et participe à ses incessantes modifications, se mêlent attaques brutales et suspensions à vide. Au centre du paysage scénique, quatre musiciens modèlent la matière sonore dans laquelle agissent quatre danseurs.

Une juxtaposition de saynètes habitées de très belles propositions corporelles déroule le fil d’une intrigue qui les contient toutes : relation à l’un, relation aux autres. Marlène Rostaing succède à Cécile Loyer pour assumer seule l’énergie féminine d’une pièce qui voit la figure humaine muer, se déformer, s’affaiblir. Son duo avec le chorégraphe, achevé dans le sang de ses pas sur un drap blanc, contient la pièce comme un atome contient l’univers. L’émotion et la forme, la ligne et l’amas, l’équilibre et l’éclatement. Le mouvement se fige parfois en tableau, la violence subie fait place à l’œuvre commune, la peinture aux pigments volatiles, les armes aux fleurs.

Tout au long de la pièce, les corps demeurent instables, agités de répétitions mécaniques, rigidifiés par l’instant, déplacés. Josef Nadj choisit un mouvement incessant, à qui l’immobilité même appartient et qui impose à la succession des actes une minutie gracieuse et une lenteur pesante. La question n’est pas de savoir ce qui induit le mouvement mais de comprendre qu’il est l’origine, la seule qui ne puisse être reniée ou déformée. En décomposant l’espace et le temps, son flux englobe chaque être et chaque acte, absolument liés et inévitablement séparés comme autant de fils dans la toile des mondes. 

— Chorégraphie et scénographie : Josef Nadj
— Interprétation : Ivan Fatjo, Peter Gemza, Josef Nadj, Marlène Rostaing et les musiciens Robert Benko, Eric Brochard, Gildas Etevenard, Akosh Szevényi
— Musique : Akosh Szelevényi
— Lumières : Rémi Nicolas assisté de Lionel Colet
— Mise en son : Jean-Philippe Dupont
— Costruction décor et objets scéniques : Olivier Berthel, Julien Brochard, Clément Dirat, Julien Fleureau
— Décor et création des accessoires : Jacqueline Bosson
— Costumes : Françoise Yapo assistée de Karin Wehner
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