ART | CRITIQUE

Ennui (la vie continue)

PFrançois Salmeron
@15 Mar 2013

Utilisant avec malice différents types de polices qu’il détourne de leur usage commercial, Jack Pierson formule quelques références à la philosophie ou à notre héritage judéo-chrétien, tout en ouvrant les vannes de l’imaginaire. L’artiste interroge par là les fondements de la sagesse humaine, ainsi que la force de notre imagination.

Si l’on connaît Jack Pierson pour ses lettrages se référant au monde d’Hollywood, l’artiste se lance également dans des questionnements métaphysiques et religieux. Car, après des œuvres telles que The World Is Yours (en clin d’œil à Al Pacino dans Scarface), Fame, Movie Star ou The Second Act, qui traduisent bien sa fascination pour le cinéma et le star system, Jack Pierson s’attaque désormais aux problèmes existentiels et métaphysiques qui régissent nos vies, et qui se trouvent enracinés depuis des siècles dans la civilisation occidentale.

Pour ce faire, Jack Pierson ne déroge toutefois pas à ses partis-pris esthétiques, puisqu’il continue à recycler et détourner des lettrages servant habituellement dans les affichages commerciaux. Ainsi, son œuvre met en forme des phrases ou des interrogations, formulées à partir de divers caractères de polices. A l’unité du sens produit répond la multiplicité des matériaux recyclés, des textures et des couleurs.

These Eternal Questions fait écho aux «grands problèmes» auxquels chacun se confronte depuis l’aube de l’humanité. Sous la généralité de cette assertion, on peut renfermer une multitude de champs de réflexion: métaphysique, cosmique, existentiel, éthique, politique, esthétique, etc. Mais l’œuvre de Jack Pierson appuie également sur un paradoxe: ces problématiques que l’on juge éternelles ne sont que le fruit de l’humanité, et ont donc bien eu un commencement. En ce sens, elles n’ont d’existence et de réalité que si elles sont émises par un esprit humain. Ainsi, ces questions ne sont pas éternelles, puisqu’elles apparaissent avec l’éveil de notre conscience, que l’on situe d’ailleurs à l’ère de la Grèce antique et de ses figures intellectuelles (Thalès, Pythagore, Héraclite ou Parménide).

Alors, si ces questions nous semblent éternelles, c’est plutôt parce que nous ne sommes pas capables de leur apporter de réponse définitive et que, dès lors, elles ne cessent de nous accabler et de hanter nos esprits. Elles ne sont finalement que le produit d’un certain monde, d’une certaine manière de penser et de formuler les choses: elles ne seraient que le résultat d’une société donnée, prise dans un certain contexte historique.

La pièce His Quiet Waters emprunte certaines polices à l’esthétique du western ou à un style médiéval. Ces polices s’assemblent alors et nous renvoient vers une citation de la Bible: «Dans de verts pâturages. Il me dirige. Près des eaux paisibles». En effet, cette œuvre se réfère à une autre source fondamentale de la pensée occidentale, à savoir la religion judéo-chrétienne. Et, plutôt que de nous laisser faire face à des problèmes insolubles, incapables d’y répondre à cause de notre constitution imparfaite et de nos capacités limitées, cette sentence nous appelle à nous laisser guider par Dieu.

Figure de l’absolu, de la toute-puissance, et de la bonté, Dieu vient en secours à qui se range à ses côtés. Il requiert donc de notre part obéissance et soumission, ainsi qu’une foi inébranlable dans ses principes. L’accès au bien, au paradis, aux «verts pâturages» et aux «eaux paisibles», ne peut se faire que si l’on est proche et fidèle à Dieu, et que notre raison, consciente de ses limites dans certains domaines de la pensée, se soumet à la foi.

Ces deux œuvres murales se trouvent séparées par une immense lettre grise. Ce «H», étalé horizontalement, repose sur les marches reliant les deux salles d’exposition. Par là, il nous invite à pénétrer dans la salle d’exposition principale. Nous nous retrouvons alors au milieu de gigantesques lettres en bois, transformant le lieu en une sorte de labyrinthe. Nous nous baladons au milieu de ses géants immobiles, nous nous faufilons d’une lettre à une autre, même si notre passage se trouve parfois obstrué. Nous pouvons nous cacher derrière certains blocs, ou nous réfugier dans les niches qu’elles forment avec certains murs de la galerie.

Ce projet semble alors illustrer le pouvoir de l’imagination, qui peut créer diverses associations d’idées, comme si l’on suivait physiquement le cheminement nébuleux qui va d’un concept à un autre (Hope, You, Dreams). L’installation nous propulse également dans un univers fantastique, pareils à des lilliputiens perdus dans un monde de géants. Notre imaginaire se développe donc dans cet espace qui nous rappelle les récits merveilleux ou les contes de notre enfance.

L’œuvre Yes enfin prolonge notre voyage dans l’imaginaire. En effet, deux des lettres qui la composent semblent tout droit sorties d’un manège ou d’une attraction de fête foraine. Et les fins néons Untitled (Moon), aux couleurs rouge, jaune ou bleu, surplombent la salle. Ils apparaissent finalement comme un discret contre-point aux imposants lettrages gris qui saturent l’espace de la galerie.

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