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Enlève ton masque

PEmmanuel Posnic
@12 Jan 2008

La vision de Nervi est authentiquement subjective et clairement inscrite contre un système politique autoritaire dont ses peintures pointent en permanence les défauts ou les formes de manipulation.

Le sillon que trace Audrey Nervi emprunte des chemins radicaux: manifestations anti-cpe à Paris, rassemblement techno en Tchéquie ou altermondialiste en Thaïlande, signes constants de pauvreté à New York, etc. A travers les peintures qu’elle présente chez Frank Elbaz, l’artiste dresse un constat en forme de bulletin de santé de la jeunesse du monde.

Un constat donc, un reportage personnel aussi, certainement. Audrey Nervi prend le pouls de cette jeunesse en désignant les lieux où celle-ci se débat. Tous les épicentres des phénomènes sociaux et culturels passent ainsi en revue: Paris, New York, Istanbul, l’Italie, les pays de l’ancien bloc de l’Est, ceux du Sud-Est Asiatique.
Les free-parties, les raves, les manifestations et différentes typologies de conditions urbaines sont perçus en filigrane dans son travail, comme une trame indispensable, un décor de fond à toutes les situations qu’elle décrit.

Car la vision de Nervi est authentique, c’est-à-dire authentiquement subjective et clairement inscrite contre un système politique autoritaire dont ses peintures pointent en permanence les défauts ou les formes de manipulation.
C’est la sculpture publique Love, le fameux symbole du Pop art américain, qui supporte un SDF endormi (No Love – New York, 2006); c’est le jeune manifestant agenouillé devant une colonne de CRS (Obey – Tchéquie, 2006); c’est un checkpoint en forme de camp retranché au Cambodge, un Eldorado détourné par un panneau publicitaire en Albanie ou un palmier raccordé à une borne urbaine à New York.
Une «alter-peinture» pourrait-on dire, même si le terme est barbare, dont on retient finalement que les combats sont aussi uniformément mondialisés que le carcan pour lequel elle s’oppose.

L’artiste multiplie les scènes, ses tableaux relativement petits remplissent les cimaises comme un portfolio nourrit les pages d’un magazine. Ce qui n’est pas anodin: sa peinture emprunte à la photographie son origine (avant de les peindre, Audrey Nervi photographie ses sujets), mais aussi et surtout son format, son instantanéité, ses sur-expositions, ses contrastes bruts, sa vérité nue.
Elle présente pour autant une valeur ajoutée fondamentale dans la compréhension de son travail qui va bien au-delà du style. C’est celle du détachement, de l’ «abstractisation» de la réalité qui alimente, renforce et justifie la dimension poétique aux côtés de l’évidente dimension politique de sa démarche.

Ce faisant, Nervi crée le flou entre photographie et peinture, comme si elle inventait un territoire indéfini, une zone-tampon entre le réel et la fiction, évitant à la fois les pesanteurs du réel tout en y puisant son énergie.

Audrey Nervi
— No Love – New York, 2006. Huile sur toile. 50 x 50 cm.
— Enlève ton masque – Thaïlande, 2006. Huile sur toile. 50 x 50 cm.
— Play – Istanbul, 2006. Huile sur toile. 30 x 40 cm.
— Obey – Tchéquie, 2006. Huile sur toile. 25 x 40 cm.
— Dream – New York, 2006. Huile sur toile. 48 x 70 cm.
— Bouée – Tchéquie, 2006. Huile sur toile. 40 x 30 cm.

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